Depuis les années 80, les musées se réinventent, cherchant à devenir des lieux vivants et interactifs. Cette évolution est l'opportunité d'explorer de nouvelles dynamiques et de questionner l’engagement des jeunes. Alors, les ados et les musées, défis ou opportunités ?
Visite muséale en groupe © Drella Hubert

 

Depuis les années 80, les institutions muséales ont entamé une transformation significative, passant d'espaces statiques à des lieux vivants et interactifs, qui favorisent une participation des visiteurs dans la construction des connaissances. Malgré ces efforts de renouvellement, le public adolescent demeure, selon les observations de Noëlle Timbart, doctorante en muséologie, en 2013, l'un des publics les moins engagés et les plus difficiles à atteindre par les musées. Mais est-ce vraiment le désintérêt présumé des adolescents pour la culture muséale qui éloigne ces jeunes visiteurs, ou plutôt une difficulté des musées à s'adapter aux besoins spécifiques de ce public

 

Adolescents : Un public à la croisée des chemins

L'adolescence est une étape de la vie marquée par une forte structuration identitaire. Cette période de variabilité représente un défi de taille pour les institutions culturelles qui cherchent à captiver ce public.

Les recherches en psychologie du développement de l’individu, en particulier celles d'Erik Erikson, un psychologue du 20ème siècle, sur les stades de développement psychosocial, mettent en lumière l'importance de cette période dans la construction individuelle. Sa reconnaissance en tant que classe sociale distincte n'apparaît qu'au cours du 20e siècle, comme une phase de transition, là où avant l'on passait directement de l'enfance à l'âge adulte. L'Organisation Mondiale de la Santé définit l'adolescence comme la tranche d'âge allant de 10 à 19 ans, bien que les limites précises de cette période restent sujettes à interprétations, influencées par des facteurs tant biologiques que sociaux. De nos jours, l’adolescence s’affine également avec la distinction de la préadolescence, cette dernière catégorie désigne une période flottante entre la fin de l'enfance et les prémices de la puberté, souvent située entre 8 et 13 ans.
Outre cette complexité à cerner cette période de la vie, il apparaît également que l’adolescence peut se définir également par des cultures communes, caractérisées par un besoin d'indépendance tout comme d'appartenance à un groupe.
Cette période de structuration rend ce groupe particulièrement difficile à saisir pour les institutions culturelles. Naviguant entre différents intérêts, l’adolescent est profondément influencé par son environnement socio-culturel, en recherche de reconnaissance et de différenciation. Selon l’étude “Les musées et leurs publics : diagnostic d'une non-rencontre entre l'institution muséale et les adolescents“ de Laetitia Aeberli en 2002, les adolescents sont en recherche d’espaces pour affirmer leur identité, être valorisés, pris au sérieux par des figures adultes dans leurs explorations et expressions personnelles. Paradoxalement, bien qu'ils soient souvent perçus comme réfractaire ou difficile à engager, c’est un groupe social qui démontre une capacité d'adaptation et une volonté d'apprendre, stimulés par une envie de découverte et une ouverture vers l'inconnu.
Le rapport entre adolescents et musées est donc intrinsèquement lié à ces dynamiques. Il y a tout un enjeu pour les musées à comprendre et identifier les pratiques culturelles des adolescents.
Le musée, un espace à reconquérir
Souvent associés à l'école ou à la sphère familiale, les musées peinent à s'imposer comme des lieux privilégiés d’apprentissage ainsi que de loisir par les adolescents. Cette perception est d'autant plus marquée que les visites scolaires, bien qu’appréciées, sont souvent les premiers contacts avec les musées et vécues comme des obligations, ce qui éloigne les jeunes de l'idée d'une visite libre et choisie.
Bien que l'école joue un rôle crucial dans l'accessibilité de la culture pour tous, les activités muséales destinées aux adolescents sont fréquemment alignées sur les programmes scolaires, ce qui les cantonne à une expérience perçue comme formelle. De plus, les restrictions et les règles rigides appliquées dans les musées peuvent représenter un obstacle à leur attractivité pour les jeunes. La nécessité de se contenter d'observer et d'écouter sans interaction physique, l'obligation de lire de longs textes explicatifs et souvent l'obligation de suivre un parcours guidé créent un environnement qui peut être frustrant. Ces limitations transforment l'expérience muséale en une extension de l'environnement éducatif contraint, plutôt qu'en une opportunité de découverte libre et engageante, ce qui peut renforcer un sentiment que les musées ne s’adressent pas à eux et sont davantage réservés aux adultes.
La plupart des études de fréquentation muséale mettent en évidence une chute notable de la fréquentation des adolescents en tant que visiteurs autonomes, en révélant un désengagement progressif dès l'âge de 15 ans. Ce détachement peut s’expliquer par la manière dont le public adolescent perçoit l’approche muséale comme peu en phase avec ses préoccupations ainsi que leurs pratiques culturelles.
« Si le musée ne fait pas sens pour les adolescents, c'est parce qu'ils ont découvert le musée sous forme de public captif. » (Entretien avec Jeanne Pont par Laetitia Aeberli, 2003.)
Pourtant, d’après les études de Noëlle Timbart et Laetitia Aeberli, il est souligné que malgré ces obstacles, les adolescents peuvent trouver du plaisir dans la découverte muséale

 

Vers une nouvelle dynamique muséale

La question de l'intégration des adolescents dans les musées revêt un intérêt croissant dans le paysage culturel contemporain. De nombreuses institutions culturelles, à l'instar du Centre Pompidou avec son initiative "Studio 13/16" dédiée spécifiquement aux jeunes de 13 à 16 ans ouvert depuis 2010, ou encore le programme “Circuit" développé entre 2013 et 2017 par la Tate, qui collaborait avec des jeunes de 15 à 25 ans sur des innovations au sein de différentes structures partenaires, cherchent à se rapprocher des besoins spécifiques de cette tranche d'âge. Dans ce contexte, plusieurs autrices se sont penchées sur la question, comme Laetitia Aeberli ou Noëlle Timbart, qui apportent des contributions significatives avec leurs études. Leurs stratégies se recoupent, surtout sur les réflexions de la co-construction et l'intégration, qui visent à nourrir les dynamiques existantes :

  • Des expositions plus en lien avec les valeurs et les cultures adolescentes
Compléter l'offre muséale par des thématiques qui résonnent avec les préoccupations des adolescents. Qu'il s'agisse de questions liées à l'identité, à l'environnement, à la technologie ou à la diversité, les expositions et les programmes qui reflètent le monde dans lequel les jeunes évoluent permettent de leur proposer des perspectives qui pourront résonner avec leurs réalités. Les sujets plus en lien avec le présent et l’avenir peuvent être envisagés, sans uniquement évoquer le passé.
  • Contribution et interactivité
L'inclusion des adolescents peut se faire par la médiation avec la mise en place de rôles actifs en lien avec leurs centres d'intérêts. Il peut être envisagé de leur offrir des opportunités de les impliquer dans des projets du musée, de devenir médiateurs, guides pour leurs pairs, contributeurs à des projets collaboratifs. Les adolescents recherchent des activités dans lesquelles ils peuvent apprendre mais aussi acquérir de nouvelles habiletés (comme la communication, le travail en équipe, mais aussi des techniques comme la création numérique, le cinéma, etc…). L’expérience et l’interactivité sont ainsi des moyens de s’approprier le musée pour permettre aux jeunes de s’impliquer dans la construction de leur propre savoir.
  • Un accueil personnalisé
Un accueil personnalisé avec des offres dédiées permet de mettre en confiance un public qui ne se sent pas toujours à sa place dans les musées. Selon Noëlle Timbart, les adolescents attendent une visite spécifiquement pensée et élaborée pour eux qui leur permettrait d’être en contact avec d’autres jeunes. Laetitia Aeberli, quant à elle, met en lumière les besoins d’un environnement accueillant, allant de l’ambiance générale à la présence de guides qui non seulement connaissent et aiment leur métier, mais chez qui on perçoit de l'intérêt pour le public adolescent. Enfin le besoin d’une communication ciblée qui s'adresse directement aux adolescents en utilisant les canaux de communication qu'ils fréquentent.
  • Autonomie et rencontres
 

 

Les adolescents, en pleine période de changements, ont besoin de repères familiers pour explorer. Les milieux muséaux sont des espaces qu’ils ne maîtrisent pas forcément. Ainsi l’identification à des objets, des collections ou des propos qui leurs seraient familiers est importante pour eux. Retrouver des objets qu’ils ont déjà vus leur permet d’établir un lien plus facile avec ces derniers. Ils disposent alors de repères et d’une gamme de réponses qui les aident à s’approprier le savoir.
Concernant le registre de la familiarité, l’amitié et la reconnaissance des pairs jouent également un rôle important à l’adolescence. C’est une donnée qui peut être prise en considération lors de l’élaboration de projets culturels destinés aux jeunes.
Pour résumer, les adolescents ont besoin de se sentir écoutés, attendus au musée et pris en compte. La participation active, le jeu, l'échange, tout comme la discussion émergent comme des vecteurs qui favorisent une appropriation de ces espaces par cette tranche d'âge. Face à la difficulté de s’emparer de l'exposition en tant que média, il devient intéressant de continuer à imaginer une évolution des musées vers des lieux d'expérimentation culturelle où les jeunes ne sont pas de simples spectateurs, mais des contributeurs actifs.

 

Une rencontre enrichissante à cultiver

La relation entre les adolescents et les musées peut être envisagée comme un défi stimulant à relever. Cette démarche nécessite une volonté de comprendre ce public pour proposer les offres culturelles adaptées, qui prennent en compte leurs besoins spécifiques, notamment en termes de dialogue, de participation et d'expérimentation.
Si les musées constituent un pilier (de transmission) de la culture, l'enjeu n'est pas seulement économique ou politique dans le but d'augmenter le nombre de visiteurs ; il est surtout sociétal. En sortant de leur zone de confort pour se rendre accessibles pour la jeune génération, les musées ne se contentent pas d'élargir leur public ; ils créent un environnement propice à l'innovation sociale et culturelle, où les jeunes se sentent entendus. Cet enjeu touche à la construction d'une société inclusive, consciente de son patrimoine et ouverte au dialogue intergénérationnel.
C'est dans cette interaction que réside l'opportunité de construire un futur où la culture est vivante, partagée et constamment renouvelée. Les adolescents et préadolescents ne sont pas seulement les visiteurs de demain ; ils sont les acteurs d'une culture dynamique, prêts à s'engager pour enrichir le paysage culturel par leur présence et leur créativité. Les musées, en les considérant davantage, peuvent devenir des terrains fertiles pour cette rencontre enrichissante tout en tissant des liens durables entre les générations.

 

Drella Hubert

 

Pour aller plus loin :

 

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