Quelles sont les preuves concernant le rôle de l’art et des musées dans l’amélioration de la santé et du bien-être ?
Prescription muséale © Musée des Beaux-Arts de Montréal.
Dans le Dictionnaire de Muséologie, la muséothérapie est définie par la chercheuse en neuroesthétique Dorota Folga Januszewska et le précurseur de cette discipline en Pologne Robert Kotowshi, comme :
“ L’utilisation des collections, de récits, d’espaces et de dispositifs expographiques comme solutions thérapeutiques pour traiter certaines maladies. La muséothérapie vise à contribuer à l’amélioration du bien-être, de la santé physique et mentale et de la stabilité émotionnelle des participants, et à concourir à la quête d'identité par le contact direct avec la culture, l’art et l’environnement naturel.[1] “
Le développement des neurosciences, dont la neuroesthétique à la fin du XXème siècle, a contribué à faire du musée un lieu d’éducation multisensorielle et de développement de la perception[2].
La muséothérapie est aussi intimement liée à la neuromuséologie, qui a d’abord été étudiée en Pologne. Cette discipline est rattachée aux recherches à propos de la neuroperception, autrement dit aux liens créés entre la visite du musée et la perception multisensorielle et la réception émotionnelle des visiteurs[3].
C’est dans ce sillage que des établissements tels que le Musée national de Kielce (Pologne) et le Musée des Beaux-Arts de Montréal (MBAM) (Canada) ont été les premiers, dans les années 2010, à intégrer parmi leurs actions culturelles des séances de muséothérapie.
Le MBAM a inauguré en 2016 l’Atelier International d’éducation et d’art-thérapie Michel de la Chenelière[4]. Il s’agit du plus grand complexe éducatif dans un musée d'art en Amérique, et accueille chaque année plus de 300 000 participants grâce à la collaboration d’art thérapeutes, d’experts du milieu de la santé ou encore d’éducateurs[5].
La collaboration entre Nathalie Bondil, à ce moment-là directrice générale et conservatrice en chef du MBAM, et l’association Médecins francophones a permis d’initier dès 2018 la prescription de visites gratuites du MBAM à des patients souffrant physiquement ou mentalement[6].
La muséothérapie fait l'objet de multiples expérimentations depuis les années 2010, et se développe au sein de plus en plus d’institutions muséales françaises.
Le point de départ des actions santé du Palais des Beaux-Arts de Lille (PBA) prend place dès 2008 avec un projet visant à accueillir des enfants, adolescents et jeunes adultes souffrant de troubles de la sphère autistique. L’équipe projet était composée d’une chargée de médiation, d’une art thérapeute et de quatre artistes plasticiens qui ont mis en place des ateliers de pratiques artistiques et de découverte des œuvres suivant un rythme hebdomadaire de manière à assurer le bon suivi des séances[7].
Le 6 novembre 2023, le CHU de Lille et le PBA ont signé une convention de partenariat dans le but de développer à leur tour la prescription muséale. Sachant que dès 2012, deux art-thérapeutes avaient déjà intégré l’équipe et accueillaient des patients issus de services tels que l’oncologie, l’addictologie et la pédopsychiatrie. Ce partenariat avec le CHU de Lille permet de faire de la muséothérapie l’un des piliers de la politique d’accueil et d’implication des publics du PBA. Le musée propose depuis 140 ateliers d’art-thérapie par an, pour accueillir jusqu’à 1 400 patients issus des services du CHU de Lille[8]. Des séances sont aussi ouvertes aux patients atteints de la maladie d'Alzheimer suivis au Centre Mémoire du CHU[9].
Inauguré en 2012, le Louvre-Lens a pour objectif d'ouvrir à tous l'accès aux collections nationales, et mène depuis son ouverture une politique d’actions singulières en matière de santé et de bien-être.
Des partenariats et des projets-pilotes sont co-élaborés depuis 2014 avec le Centre hospitalier de Lens, mais aussi avec des professionnels du monde médical, hospitalier, associatif, universitaire et muséal. C’est depuis 2023 que le Louvre-Lens a ouvert un nouveau programme de séances gratuites : le Louvre-Lens-Thérapie[10]. Les médecins du centre hospitalier peuvent aussi prescrire, sous la forme d’un bon, des visites au musée à leurs patients[11] avec l’accompagnement d’un art-thérapeute et une médiatrice culturelle.
L’exploration de la muséothérapie, notamment par le biais des prescriptions muséales, permet de faire du musée un laboratoire visant à stimuler des sensations de bonheur, d’introspection, la réduction du stress et s’attache à contrer l’isolement. Mais peut-on réellement aider les patients en leur proposant d’aller au musée ? Peut-on véritablement parler de soin, de cure ?
Nathalie Bondil considère la muséothérapie comme un outil de santé publique. Elle explique lors d’une interview pour le SITEM que les organisations internationales, telles que l’ICOM, l’OCDE et l’OMS ont validé cette approche, et soutiennent diverses recherches[12].
En effet, le rapport de 2019 de l’OMS intitulé « What is the evidence on the role of the arts in improving health and well-being ? » [Quelles sont les preuves concernant le rôle de l’art dans l’amélioration de la santé et du bien-être ?] recense plus de 3 000 études scientifiques qui ont permis de conclure que les arts jouent un rôle important dans la prévention des problèmes de santé, la promotion de la santé, ainsi que dans la prise en charge et le traitement des maladies[13] tout au long de la vie des patients[14].
La muséothérapie s’inscrit dans une dynamique plus large d’inclusion sociale au sein des musées. Bien que cette discipline soit encore en développement, avec des recherches relativement récentes, les spécialistes s’accordent pour dire qu'une influence positive sur les patients est observée. Il est alors essentiel d'encourager la collaboration entre le monde de la santé et l'univers muséal, afin d’évaluer rigoureusement les nouvelles études de terrain qui confirmeront sans doute, à terme, les effets thérapeutiques des musées[15].
Solène Bérus
[1] F. MAIRESSE (dir.), 2022, Dictionnaire de muséologie, Paris, Armand Colin, p. 446. ↩
[2] Sztuka i Filozofia, https://artandphilosophy.pl/wp-content/uploads/2020/11/SZiF_42_05_Folga.pdf, publié en 2013, Dorota Folga‑Januszewska, Museum vs. Neuroesthetics [consulté le 17/10/2024]. ↩
[3] F. MAIRESSE (dir.), 2022, Dictionnaire de muséologie, Paris, Armand Colin, p. 457. ↩
[4] La Lettre de l’OCIM, https://journals.openedition.org/ocim/1896, publié en ligne le 01/01/2019, Mélissa Nauleau, Musée + Art-thérapie = Muséothérapie ? [consulté le 14/10/2024]. ↩
[5] Musée des Beaux-Arts de Montréal, https://www.mbam.qc.ca/fr/actualites/inauguration-nouveau-pavillon-paix-michal-renata-hornstein/, publié le 05/11/2016, Semaine d'inauguration du nouveau Pavillon pour la Paix [consulté le 14/10/2024]. ↩
[6] Médecins francophones du Canada, https://www.medecinsfrancophones.ca/un-projet-pilote-novateur-pour-le-mieux-etre-des-patients-par-lart-prescriptions-museales-mbam-mdfc/, publié le 30/10/2018, Un projet-pilote novateur pour le mieux-être des patients par l’art : Prescriptions muséales MBAM-MdFC [consulté le 15/10/2024]. ↩
[7] Palais des Beaux-Arts de Lille, https://pba.lille.fr/Visiter/Groupe/Sante-et-Art-therapie/Lancement-du-Guide-museal-pour-l-accueil-des-personnes-autistes, date de publication inconnue, Lancement du Guide muséal pour l’accueil des personnes autistes [consulté le 17/10/2024]. ↩
[8] Club Innovation & Culture CLIC France,https://www.club-innovation-culture.fr/palais-beaux-arts-lille-chu-lille-prescription-museale-convention/#:~:text=La%20prescription%20mus%C3%A9ale%20est%20un,%2C%20th%C3%A9%C3%A2tre%2C%20chant%E2%80%A6 , publié le 09/10/2023, En signant une convention triennale, le Palais des Beaux-Arts de Lille et le CHU de Lille vont développer la prescription muséale [consulté le 17/10/2024]. ↩
[9] Club Innovation & Culture CLIC France,https://www.club-innovation-culture.fr/palais-beaux-arts-lille-chu-lille-prescription-museale-convention/#:~:text=La%20prescription%20mus%C3%A9ale%20est%20un,%2C%20th%C3%A9%C3%A2tre%2C%20chant%E2%80%A6 , publié le 09/10/2023, En signant une convention triennale, le Palais des Beaux-Arts de Lille et le CHU de Lille vont développer la prescription muséale [consulté le 17/10/2024]. ↩
[10] Le Mag, Le Louvre-Lens des entreprises, https://lemag.louvrelens.fr/evenements/initiation-a-la-museotherapie-au-louvre-lens/#:~:text=En%202023%2C%20le%20Louvre%2DLens,nous%20renvoie%2Dt%2Delle%20%3F, publié le 16/05/2024, Initiation à la muséothérapie au Louvre-Lens [consulté le 16/10/2024]. ↩
[11] France Bleu Nord, https://www.francebleu.fr/emissions/fier-de-ceux-qui-font-bouger-le-nord-et-le-pas-de-calais/la-museotherapie-avec-gunilla-lapointe-chargee-des-mediations-au-louvre-lens-2770086, diffusé le 16/10/2023, La muséothérapie avec Gunilla Lapointe chargée des médiations au Louvre Lens [consulté le 17/10/2024]. ↩
[12] SITEM, https://www.sitem.fr/conferences/le-musee-therapeute/#:~:text=La%20%C2%AB%20mus%C3%A9oth%C3%A9rapie%20%C2%BB%2C%20un%20outil%20en%20sant%C3%A9%20publique&text=Ce%20concept%20consid%C3%A8re%20le%20mus%C3%A9e,les%20neurosciences%20et%20la%20m%C3%A9decine, publié le 15/09/2021, Le musée thérapeute [consulté le 14/10/2024]. ↩
[13] Art For Science, https://www.artforscience.eu/plus-de-900-publications-scientifiques-traitent-des-effets-de-lart-culture-sur-la-sante-selon-le-rapport-du-11-novembre-2019-de-loms/, publié le 06/07/2020, Plus de 900 publications scientifiques traitent des effets de l’art & culture sur la santé, selon le rapport du 11 novembre 2019 de l’OMS [consulté le 15/10/2024]. ↩
[14] Organisation Mondiale de la Santé, https://who-sandbox.squiz.cloud/fr/publications/abstracts/what-is-the-evidence-on-the-role-of-the-arts-in-improving-health-and-well-being-a-scoping-review-2019, publié en 2019, Daisy Fancourt, Saoirse Finn, Quelles sont les preuves concernant le rôle de l’art dans l’amélioration de la santé et du bien-être ? [consulté le 17/10/2024]. ↩
[15] Les cahiers d’études de l’observatoire de l’Ocim, https://www.calameo.com/read/0057770602ca344bce4cf, publié en 2021, Leslie Labbé, La muséothérapie, analyse des potentiels thérapeutiques du musée [consulté le 22/10/2024]. ↩
Pour aller plus loin, plusieurs journées d’études sont prochainement organisées à ce sujet :
- Les 52 minutes d’ICOM France - Des musées en leur temps : « Le musée qui soigne, du care au cure : la muséothérapie. » Le jeudi 31 octobre 2024 à 12h30 // En ligne. https://www.icom-musees.fr/actualites/le-musee-qui-soigne-du-care-au-cure-la-museotherapie
- Rencontres professionnelles Occitanie Musées : « Musée et soin : du care au cure ? »
Le 21 novembre 2024 à 14h30 // présentiel Université Paul Valéry Montpellier III, et en ligne. - https://www.mbam.qc.ca/fr/education/mieux-etre/
- https://pba.lille.fr/Agenda/LES-ATELIERS-D-ART-THERAPIE
- https://www.louvrelens.fr/activity/louvre-lens-therapie/