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Musée du Louvre-Lens, © Pauline Mabrut

 

En position centrale au musée du Louvre-Lens se trouve le public, présent dès la conception d’une exposition. Annabelle Ténèze, directrice du musée, et Dominique de Font-Réaulx, commissaire de l’exposition, ont pensé pour une section de l’exposition Exils, Regards d’artistes un projet participatif et inclusif, mené avec le concours de plusieurs structures partenaires.

Musée du Louvre-Lens, © Pauline Mabrut

Six associations oeuvrant pour les populations du territoire ont travaillé sur le projet :

- l’APSA-CADA, Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile (Liévin)
- l’association Femmes en avant (Liévin)
- le Centre socioculturel Alexandre Dumas (Lens)
- le Centre socioculturel François Vachala (Lens)
- l’association La Cimade (Lens)
- le SAVI, Service d’Accompagnement vers l’Intégration pour les mineurs immigrés (Béthune)

Avec eux, dix étudiants répartis en trois groupes de trois ou quatre, issus des divers parcours du Master 2 de l’École du Louvre.

 

Une exposition - porte d’entrée d’un dialogue entre art et territoire

L’exposition a trouvé terre d’asile à Lens, où elle a toute sa place. Le musée est ancré dans le bassin minier dont le développement a été rythmé par plusieurs vagues de migrations. De nombreux habitants du territoire, en quête d’un travail, ont vécu l’exil ou sont enfants ou petits-enfants d’immigrants. Aujourd’hui encore, le Pas-de-Calais vit au quotidien la présence et le passage de migrants qui tentent une traversée périlleuse vers le Royaume-Uni sur des canots de fortune.

Une partie de l’exposition a été construite en lien avec treize habitants du territoire lensois à qui fut proposé d’embarquer pour une aventure profondément humaine et à l’image de l’exposition. Port de départ : la présentation du projet par les associations aux potentiels témoins. Les structures partenaires ont retenu ceux dont le récit et les traces d’exils étaient les plus représentatifs et en phase avec l’exposition. Puis ont eu lieu les rencontres entre étudiants et habitants, suivies d’une longue traversée commune : une année riche d’écoute, d’échanges et de partages d’expériences.

 

Une collecte d’objets

Les habitants « témoins », présélectionnés par les associations, ont été invités à confier au musée le temps de l’exposition un ou des objets qui pour eux symbolise(nt) l’exil. Le Louvre Lens est Musée de France, mais sans collection permanente : pour l’exposition Exils, la notion de prêt, plutôt que de dons comme au Musée National de l’Histoire de l’Immigration, a tout de suite instauré la confiance et rassuré les témoins. Les habitants ont eu tendance à proposer de beaux objets (comme les assiettes de Marguerite de Hongrie) car l’espace du musée leur est d’emblée assimilé au prestige. Cette réaction questionne les codes du musée car elle s’oppose au principe d’Exils : ici ce sont des objets de sens et de mémoire familiale qui ont été prêtés. Ils sont des récepteurs et des traces de l'histoire d’exilés sur trois générations et sont traités au même titre que des œuvres d’art : leur état est étudié avant et après l’exposition et leur manipulation est délicate et professionnelle.
Précieux ou quotidiens, ces objets ont été emportés avec soi, rachetés en France ou encore offerts. Certains sont directement rattachés à Lens comme le collier de cheval (de la mine ou des maillots de football, ce qui permet aux habitants de la ville de s’y identifier. Ils rappellent aussi qu’au plus fort de son activité, le bassin minier rassemblait trente-deux nationalités.

 

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Collier de Flageolet, cheval de fond de l’arrière-grand-père
Collier de cheval en bois, cuir et métal, Flandre-Occidentale, Belgique, 1850-1950
Musée du Louvre Lens © Pauline Mabrut

 

« Cet objet, je pense que je l’ai prêté pour que le regard des autres sur les personnes qui sont étrangères soit différent. Qu’ils se disent : “Après tout, cet objet, il est là, il a vécu presque toute sa vie dans nos mines, sur Lens, mais il représente autre chose.” […] Et les questions qu’ils vont se poser derrière : “Pourquoi est-il arrivé là ? Pourquoi il est comme ça ? Qu’est-ce qu’il peut nous raconter ? Et nous, dans notre propre histoire ?” Jocelyne D., Cimade, Lens

 

Un recueil de témoignages

Des paroles ont aussi été recueillies et Exils en mesure la charge émotionnelle. L’objet est pour certains prêteurs la cristallisation d’un récit qu’ils partagent.

L’escale suivante a été l’étude et l’analyse des échanges : les étudiants ont proposé les objets et les séquences audios collectés au commissariat de l’exposition. Ils ont décidé, ensemble, des objets qu’ils souhaitaient exposer (et qui pouvaient l’être). La sélection de 17 objets n’en a finalement laissé que peu de côté, il s’agissait surtout de choisir parmi plusieurs objets proposés par un même témoin.
La rédaction des commentaires, pour les cartels par exemple, a été faite par les étudiants et en lien avec les associations partenaires. Ils ont été validés après relecture par toutes les parties concernées.

 

« Le souvenir des calebasses, pour moi, c’est tous les jours en fait. Et encore ça me suit, parce que, malgré que je sois en France, elles sont avec moi. Pour moi, c’est un beau souvenir. C’est comme si j’étais toute avec ma famille ici et tout ce que j’avais fait toute petite. Mon souvenir, il me suit. C’est pas grand-chose, mais, pour nous, c’est grand-chose ». Mariam (Maya) D., Femmes en avant, Liévin

 

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Assiettes de Marguerite
Hongrie, vers 1930-1940, céramique
© Musée du Louvre-Lens

 

« Le but, ce n’est pas de parler de l’assiette. L’assiette, c’est le moyen – c’est le médium, j’allais dire – d’arriver, d’accéder à la mémoire ». Famille Tillman-Farkas, Deboudt – Éric D., Lens-Salome

 

Une scénographie ouverte

La scénographie ouverte affiche une volonté de ne pas établir de différences entre chefs-d’œuvre historiques, œuvres d’artistes contemporains, et objets de la collecte. L’emplacement de cette dernière avait déjà été plus ou moins défini puisque la commissaire l’avait pensé dès le début du projet comme une partie intégrante de l’exposition. Le mobilier est bien intégré, c’est pourquoi les étudiants sont peu intervenus sur cet aspect même s’ils ont pu participer à plusieurs rendez-vous avec le scénographe Maciej Fiszer. Ils ont présenté la liste des objets retenus et des propositions scénographiques pour leur intégration dans le parcours de l’exposition. C’est un travail qui a permis d’opter pour des bornes d’écoute permettant de découvrir les témoignages audio, de décider des mises à distance, des mises sous vitrine, du choix de la couleur de la section, de la disposition des objets entre eux...

Deux étudiantes ont pris part à l’installation intégrale des œuvres au moment du montage de l’exposition. Pour l’installation plus précisément de la collecte, elles ont été rejointes par ceux qui avaient pu faire le déplacement. Tous ont travaillé ensemble aux côtés de la directrice du Louvre-Lens et de la commissaire de l’exposition.

Cette section de l’exposition montre, en se penchant sur les traces de l’exil, que c’est un vécu toujours actuel. Elle interroge la manière de vivre au quotidien une nouvelle vie, dans un autre territoire. Sa conception partagée rejoint le propos même de l’exposition. Exils, avec un « s », parle de tous les exils dans leur diversité et sous toutes leurs formes qu’ils soient contraints, volontaires ou imaginaires. Elle aborde les multiples motivations qui peuvent pousser à quitter une terre natale. Cette partie traite aussi de diversité, de rencontres, d’écoute et d’échanges. Les récits personnels, comme il en va de tous les exils, se rattachent à une histoire commune. Une dimension historique et universelle se dégage donc de cette section particulière pour rejoindre celle de l’ensemble de l’exposition.

 

Pauline Mabrut

Merci 
Je remercie les étudiants qui ont pris part à ce projet d’avoir accepté de partager leur expérience.

 

Pour aller plus loin :

AUTRES EXPOSITIONS EN LIEN AVEC LA THÉMATIQUE

  • Biennale de Lyon : Les voies des fleuves – Crossing the water 
    En cours, 21.09.2024 au 05.01.2025
    La Biennale d'art contemporain de Lyon, manifestation créée en 1991, a un ancrage local, basé sur le dialogue et l'échange avec les populations.
    « Avec La voix des fleuves - Crossing the water, les artistes sont invités à aller à la rencontre des populations et de savoirs-faire qui deviennent autant de sources d’inspiration, d’expérimentation que d’occasions de co-création » (Dossier de Presse)
    https://fisheyeimmersive.com/evenement/biennale-de-lyon-les-voix-des-fleuves-crossing-the-water/

  • Exposition installation Monte di Pietà
    Terminée (du 29 juin au 21 juillet 2024)
    Le Festival d'Avignon, fondé en 1947, est une manifestation du spectacle vivant contemporain.
    "Fruit d’une collaboration entre Lorraine de Sagazan et Anouk Maugein,l'installation Monte di Pietà met à nu l’injustice, et la douleur qu’elle provoque. La metteuse en scène et la scénographe ont pour l’occasion collecté quelque deux-cents objets : ces objets sont liés au souvenir traumatique de violences ou de crimes, mais leurs propriétaires n’ont pourtant pu se résoudre à les jeter. Étiquetés et consignés, ces objets s’accumulent dans l’espace pour ériger un sanctuaire de chagrin." - Archives du Festival
    https://festival-avignon.com/fr/edition-2024/programmation/monte-di-pieta-348720

 

#LouvreLens  #Exils #Collecte

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