Pour sa dernière exposition temporaire, le Musée d’Orsay nous dévoile, pour la première fois en France, une rétrospective de l’artiste peintre suédoise Harriet Backer. Cette exposition, qui retrace le parcours de l’artiste, met en lumière sa sensibilité et ses engagements de femme, dès la fin du XIXème siècle. Ce voyage singulier, musical et sensible, était visible du 24 septembre 2024 au 12 janvier 2025.

Fig 1 : Entrée de l’exposition « Harriet Backer (1845-1932) : La musique des couleurs », Etablissement Public du Musée d’Orsay, Paris, 2024 - ©CT

 

Cette exposition initiée par le National Museum, Oslo et le Kode Bergen Art Museum, est organisée en collaboration avec le Nationalmuseum, Stockholm et le Musée d’Orsay, Paris. Elle permet au visiteur de découvrir l’œuvre de l’artiste grâce à cinq salles thématiques, animées au rythme de morceaux de musique joués par la sœur de l’artiste, de formes arrondies et de couleurs douces.

 

Une femme en avance sur son temps

Harriet Backer, née à Holmestrand en Norvège en 1845, est une artiste peintre déjà reconnue de son vivant dans son pays. Elle étudie la peinture dans de nombreuses villes européennes telles que Oslo, Munich, Berlin ou encore Paris et devient une figure majeure de la scène artistique norvégienne de son temps, aux traits singuliers et reconnaissables. Elle délaisse peu à peu les techniques dites « classiques » pour se rapprocher des influences impressionnistes. Cette évolution est d’ailleurs visible dans le parcours d’exposition puisqu’il regroupe aussi bien ses premiers tableaux que ses créations plus tardives.

Au cours de sa vie, Harriet Backer s’entoure de nombreuses femmes ; enseignantes, écrivaines, artistes - dont Kitty Kielland, Raga Nielsenn ou encore sa sœur, Agathe Backer Grøndahl, musicienne, dont elle est proche et souvent présente dans son œuvre. Ces femmes deviennent ses amies, des modèles qu’elle peint et dont elle s’inspire également. Une des salles de l’exposition met en lumière ces liens qu’elle entretient avec ses contemporaines et qui, avec certaines, durera jusqu’à sa mort.

À son retour en Norvège, Harriet Backer fonde une école de peinture où sont formés de nombreux artistes dont des femmes. Connaissant le succès de son vivant, elle présente ses œuvres aux expositions universelles, dont celle de Paris, où elle reçoit de la médaille d’argent en 1889 pour son tableau Chez moi datant de 1887 et représentant l'écrivaine Asta Lie jouant du piano.

En plus d’enseigner la peinture, Harriet Backer, en avance sur son temps, s’implique dans des causes politiques et féministes. Elle rejoint l’association norvégienne pour les droits de la femme aux côtés de ses amies proches, Kitty Kielland et Raga Nielsenn en 1889. Elle participe à une marche pour les droits des femmes en l’honneur Camilla Collet en 1893, deux ans avant la mort de l’autrice norvégienne féministe. Elle est nommée au conseil d’administration et au comité d’acquisition de la galerie nationale de Norvège par le gouvernement norvégien, place qu’elle occupe pendant plus de vingt ans. Harriet Backer est également nommée chevalier de l’Ordre de Saint-Olav, une des plus haute distinction norvégienne encore décernée aujourd’hui.

Toutes ces étapes clés de la vie de l’artiste sont expliquées dès la première salle de l’exposition. Une frise chronologique panoramique y résume ses événements marquants. Des repères sont donnés sur ses origines, sa famille, son éducation, ses voyages et son implication dans de nombreuses causes pour son pays, et notamment les luttes féministes.

 

Une femme qui peint les femmes

Harriet Backer peint la figure féminine comme peu d’autres artistes de son temps. Une femme qui peint les femmes, qui plus est celles de la vie quotidienne, n’est pas commun à la fin du XIXème siècle. En effet, à cette époque, les femmes ne sont pas considérées comme des citoyennes à part entière en Norvège (elles obtiennent le droit de vote au suffrage universel pour les scrutins nationaux en 1913). Cela met notamment en exergue la personnalité et les idées politiques que défend de l’artiste. Les portraits de femmes sont nombreux, voire au cœur de cette exposition. Et lorsqu’il ne s’agit pas de portraits, Harriet Backer peint la femme dans diverses scènes de la vie quotidienne.

La femme est toujours l’élément principal du tableau. Parfois jouant de la musique, parfois s’occupant du linge, parfois priant à l’église ou bien encore lors de scènes de baptêmes, mais également pour un adieu à la famille, scène d’émancipation d’une jeune fille qui part vivre à l’étranger, comme ce fut son cas. Les femmes sont parfois accompagnées d'hommes, mais dans la composition de la peinture, l’artiste n’en fait pas les éléments centraux du tableau.

Le visiteur plonge dès les premiers instants dans l’univers de l’artiste et surtout celui de son époque. Les couleurs y sont douces, du rose pâle, au rose poudré pour sublimer les intérieurs en passant par des bruns doux et chauds pour accompagner les scènes d’extérieur. La lumière est tamisée, elle met subtilement en valeur chaque tableau et nous pousse à nous concentrer sur les détails, les textures, les mouvements de son pinceau.

Dans la continuité de la salle introductive, autour de la frise chronologique, plusieurs portraits de femmes sont exposés, comme Intérieur Bleu, peint en 1883, qui représente son amie Asta Norregaard assise sur une chaise, un tissu à la main, mais aussi Autoportrait, (inachevé), que l’artiste peint en 1910.

 

3 BACKER Salle 1

4 BACKER Salle 1

Fig 2 et 3 : Première(s) salle de l’exposition « Harriet Backer (1845-1932) : La musique des couleurs », Etablissement Public du Musée d’Orsay, Paris, 2024 - ©CT

 

La deuxième salle, permet de faire écho au travail d’artistes contemporains à Harriet Backer, avec des œuvres d’artistes qui ont appartenu à son cercle d’amies proches et qui partageaient ses ambitions féministes. C’est un premier pas vers les sources d’inspirations de Harriet Backer et d'œuvres qui ont pu avoir un impact sur son travail. Cette mise en scène plante le décor et le point de vue de l’artiste dès le début de l’exposition.

 

Une femme qui peint l’intime

Plus tard, elle délaissera les portraits au détails réalistes pour les intérieurs, notamment les scènes dans les salons de musique, les pièces de vie de la maison dont plusieurs intérieurs norvégiens typiques, caractéristiques d’une des périodes phares de son œuvre. À travers ces scènes d’intérieurs, Harriet Backer peint l’intime.

Elle fait entrer celui qui regarde dans une atmosphère chaleureuse, douce et lumineuse, dont elle maîtrise la technique de manière unique. C’est d’ailleurs ce que l’on ressent dans les salles suivantes de l’exposition, où prennent place ces scènes d’intérieur et ces femmes, mises les unes à la suite des autres, parmi lesquelles : Védastine Aubert (1910), Au piano (1894), Femme cousant (1890), ou encore Lavande (1914). Cet accrochage leur donne d’autant plus de d’importance, au vu de leur nombre.

La salle centrale, salle maîtresse de l’exposition, est l’évocation du cocon du foyer, par ses formes douces, ses cimaises courbes et ses assises circulaires au centre. Le visiteur est transporté dans le temps grâce à une musique d’époque qui accompagne le parcours, faisant écho à l’amour que Harriet Backer et sa sœur avaient pour la musique. Cet amour est très souvent représenté à travers le mouvement de son geste dans ses tableaux.

 

5 BACKER Salle centrale

Fig 4 : L’espace central : le foyer, « Harriet Backer (1845-1932) : La musique des couleurs », Etablissement Public du Musée d’Orsay, Paris, 2024 - ©CT

 

Dans la suite du parcours, les œuvres nous transportent de l’autre côté des intérieurs que peint l’artiste. Le visiteur découvre une série de toiles représentant des espaces extérieurs, des lieux publics, du paysage Norvégiens : campagne, champs, bords de cours d’eau, église… Tout autant d’endroits dans lesquels Harriet Backer place de nouveau la femme comme sujet central, hors de la maison. C’est par exemple le cas de son huile sur toile intitulée ”Blanchiment du linge”, qu’elle réalise en 1886-1887 et qui met en avant trois femmes dans une scène de vie rurale norvégienne.

 

“Peindre les femmes” VS “Peindre les hommes”

En parallèle de cette rétrospective, le Musée d’Orsay présente dans son deuxième espace dédié aux expositions temporaires une exposition monographique sur l’artiste Gustave Caillebotte, intitulée « Caillebotte : Peindre les Hommes ». Cette juxtaposition des genres peut sembler être le pendant du travail de l’artiste norvégienne exposé juste en face. Caillebotte dépeint son environnement quotidien, offre une vision directe de son époque, questionnant l’intime, la place de l’homme dans la société et les différentes fonctions qu’il peut occuper. Il s'interroge sur la condition masculine, à l’image d’Harriet Backer qui le fait pour la figure féminine.

En effet, Gustave Caillebotte consacre une grande partie de sa carrière d’artiste à la peinture de sujets masculins, qu’ils s’agissent de portraits, de la figure de l’homme dans la ville ou encore l’homme sportif à travers ses séries de sportsmen. Ces tableaux datant de la même période que l'œuvre de Harriet Backer, mettent en avant deux approches radicalement différentes, un homme qui peint les hommes / une femme qui peint les femmes. Ces deux visions juxtaposées mettent en exergue une même question : la place de l’homme et de la femme dans la société dans laquelle évoluent respectivement chacun de ces deux artistes.

Les deux muséographies dialoguent, avec deux scénographies opposées : une aux couleurs chaudes, aux angles arrondis, l’autre aux tonalités plus froides, plus franches, accompagné d’un parcours d’apparence plus rectiligne. Ces deux sujets en vis à vis permettent aux visiteurs de se placer à hauteur d'œil des enjeux sociaux de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle en Europe, en réinterrogeant les normes et les conditions de genre à travers l’histoire de la peinture. Mais, l’une de ces visions n’efface-t-elle pas l’autre ?

 

6 BACKER Deux femmes

7 BACKER Deux hommes

Fig 5 : Deux femmes, Nenna Janson Nagel, née Backer Lunde, huile sur toile, 1896-1897, et Vedastine Aubert, huile sur toile, vers 1910, « Harriet Backer (1845-1932) : La musique des couleurs », Etablissement Public du Musée d’Orsay, Paris, 2024 - ©CT
Fig 6 : Deux hommes, Portrait de Paul Hugo, 1878, et Portrait de Jean Daurelle en pied, huile sur toile, 1887, exposition « Caillebotte : peindre les hommes », Etablissement Public du Musée d’Orsay, 2024 - ©CT

 

Une programmation culturelle en résonance

Pour aller plus loin, le Musée d’Orsay propose une programmation culturelle en lien avec l’exposition monographique sur Harriet Backer. Aussi, il est possible de retrouver au mois de novembre le Festival Norvégiennes en Scène, qui propose une immersion au cœur de la création norvégienne. Cette initiative fait notamment écho à l’attache très forte entre Harriet Backer, peintre, et sa sœur, Agathe Backer Grøndahl, musicienne, deux femmes animées par leur passion commune pour les arts.

“Durant une semaine entière, ce festival pluridisciplinaire sera l’occasion d’une exploration musicale, chorégraphique, littéraire et esthétique du dynamisme de la création norvégienne, et plus particulièrement le travail des femmes artistes d’hier et d’aujourd’hui.” Musée d’Orsay.

 

Clotilde Trolet

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