Fermé pendant plus d’un an pour des travaux de rénovation et de restauration, le Musée Jacquemart André rouvrait ses portes en septembre dernier avec une exposition temporaire bien particulière, Chefs-d’œuvre de la Galerie Borghèse jusqu’au 6 février 2025. 

 

 
Chefs-d’œuvre de la Galerie Borghèse,
Musée Jacquemart André, Paris 
© Culturespaces, Nicolas Héron  

 

Les prémisses du musée Jacquemart-André  

En 1860, Édouard André, issu d’une famille de banquiers, homme de la haute société parisienne et grand amateur d’art, débute sa collection avec de petites pièces d’orfèvrerie, de joaillerie, miniatures et tapisseries. Il devient une personnalité considérable dans la collection d'œuvres d’art et acquiert des peintures d’artistes phares de son époque comme celles du peintre Eugène Delacroix. Pendant les réaménagements urbains de Paris sous le Second Empire, Édouard André achète, en 1969, un terrain sur le Boulevard Haussmann destiné à accueillir un hôtel pour abriter ses acquisitions.  

 

En 1972, il rencontre Nélie Jacquemart. Issue d’un milieu modeste, de son vrai nom Cornélie Jacquemart, elle est l’une des premières femmes à entrer à l’École de peinture des Beaux-arts. Alors spécialisée dans le portrait mondain, elle se voit confier la commande du portrait de Édouard André. Liés par une passion commune, cette rencontre conduit, neuf ans plus tard, à un mariage. Le couple Jacquemart-André se consacre pendant plusieurs années à leur plus grande passion : la collection d'œuvres d’art.  

 

Histoire des collections du Musée Jacquemart André : Nélie Jacquemart, une collectionneuse affamée 

Au cours des années 1880, Nélie convainc son mari d’entreprendre une série de voyages en Italie : Florence et Venise où le marché de l’art est florissant puis Rome, Milan, Sienne, Gênes, Bologne et Naples. Le couple, à la recherche de virtuosités, arpente les salles de ventes et nouent des liens robustes avec des antiquaires bien connus dans ce milieu, Consiglio Richetti à Venise, Attilio Simonetti à Rome et Stefano Bardini à Florence, devenu leur principal pourvoyeur et qui joua un rôle important dans la future muséographie du musée. Très rapidement, le couple devient un client indispensable. 

 

À Florence, Nélie Jacquemart achète des œuvres telles que La Vierge à l'enfant, alors attribuée à Andrea Verocchio, sculpteur, peintre et orfèvre florentin de la seconde moitié du Quattrocento et grand chef d’atelier qui dirigea la République des Arts à Florence et reçut des commandes de personnalités importantes comme Laurent de Médicis. Cette attribution est rapidement remise en cause lors de l’analyse des madones de Verrocchio et des premières peintures de Sandro Botticelli dans cet atelier. La Vierge à l'enfant est réalisée dans l’atelier de Botticelli. 

 

Obstinée, Nélie Jacquemart alla même jusqu’à attendre la vente de certaines œuvres italiennes à l’étranger, à l’image de Saint Georges terrassant le dragon de Paolo Uccello, qu’elle repéra dans le palais florentin d’un antiquaire habitué. Mais celui-ci étant interdit de sortie du territoire, elle ne put l'acquérir qu’en 1899 lors d’une vente à Londres. Saint Georges terrassant le dragon ne fut pas la seule œuvre acquise à Londres cette même année. Lors d’une vente de Stefano Bardini, elle s’offrit une sculpture du virtuose Bernin, le Buste de Grégoire XV, le seul parmi les différents réalisés possédant un piédouche avec des armoiries. 
 

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Vierge à l’enfant  
Sandro Botticelli (1444 - 1510) 
1470, tempera sur bois, 62 x 48 cm 
Salle florentine, Musée Jacquemart André, Paris 
© LS 

 

Un “musée italien” au cœur de Paris  

Très vite, la collection des Jacquemart-André s’enrichit de nombreuses œuvres italiennes. Le couple veille à la disposition des œuvres et à l'aménagement de chaque espace. Nélie fait construire, au sein de l’hôtel, un mausolée en forme de chapelle privée, aujourd’hui la Salle Florentine, pour rassembler les œuvres religieuses parmi celles précédemment citées. Édouard regroupe dans la salle mitoyenne dite la Salle Vénitienne, de nombreux chefs-d’œuvre des écoles de peinture de Venise et du Nord de l’Italie dont fait partie Ecce Omo de Andrea Mantegna, réalisé vers 1500. Le grand escalier d’honneur et la salle à manger de l’hôtel furent habillés de deux fresques réalisées par Giambattista Tiepolo vers 1745, Henri III reçu à la Villa Contarini et La Renommée annonçant l’arrivée du Roi III., il fallut près de huit mois (mai 1893 à janvier 1894) pour détacher, déplacer et reposer les fresques à l’intérieur de l’hôtel envoyées de Venise à Paris. Ces deux fresques originellement peintes l’une à côté de l’autre dans la Villa Contarini furent ensuite remontées séparément. En 1886, le couple achète vingt-cinq panneaux de plafond peints en grisaille pour décorer l’une des salles du “musée italien”. Attribué à Girolamo da Santacroce, l’ensemble représente des planètes, vertus, héros et héroïnes de la mythologie. Conseillés par Stefano Bardini, les amants passent commande à Dominique Pellerin, chargé de concevoir l’encadrement décoratif du plafond. 

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Salle Vénitienne,  
Musée italien,  
© Musée Jacquemart André, Paris. 

 

Une histoire de l’Italie narrée par les expositions temporaires  

Les primitifs italiens (2009), Fra Angelico (2011), Canaletto-Guardi (2012), Le Pérugin (2014), De Giotto à Caravage (2015), Florence (2016), Caravage à Rome (2018), La collection Alana (2019), Botticelli (2021), Giovanni Bellini (2023), Chefs-d’œuvre de la Galerie Borghèse (2024), et bientôt Artemisia Gentileschi (2025). Le Musée Jacquemart-André n’a cessé de proposer des expositions temporaires portant sur des artistes, des écoles et des collections italiens.  

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Léda,  
Léonard de Vinci (d’après), vers 1510-1520, 
tempera sur panneau, 115 x 86 cm,  
Galleria Borghese, Rome.  
© Galleria Borghese / ph. Mauro Coen 

 

En septembre 2024, le Musée Jacquemart André ouvrait les portes de sa toute nouvelle exposition temporaire Chefs-d’œuvre de la Galerie Borghèse. Rendu possible par une campagne de travaux de rénovation engagée à la Galerie Borghèse à l’automne 2024, ce partenariat engendre la venue de plus de quarante chefs-d’œuvre issus des collections romaines. Le Buste de Grégoire XV retrouve La chèvre Amalthée, deux œuvres du célèbre sculpteur Gian Lorenzo Bernini. Les collections des deux institutions muséales se côtoient en faisant écho à leurs liens historiques étroits. Tout comme le musée Jacquemart-André, le musée romain s’est bâti sur la boulimie artistique d’un collectionneur bien connu de l’Histoire italienne et française : le cardinal Scipion Caffarelli-Borghèse (1577-1633), qui investit une partie de sa fortune dans l’acquisition d’œuvres d’art. La saisie de plus de cent œuvres au Cavalier d’Arpin, l’un des artistes les plus en vogue à Rome à cette époque, lui permet d’entrer en possession de chefs-d’œuvre tels que le Garçon à la corbeille de fruits de Caravage. Son influence et sa position dominante en tant que mécène favorise le décèlement de futurs artistes de renoms, comme le Bernin et le Caravage. À la fin du XVIIe siècle, la famille Borghèse dispose d’une collection de plus de 800 tableaux à laquelle s’ajoute une collection antique. Entre le XVIIIe et le XIXe siècle, la mise en vente de certaines œuvres diffuse et éparpille la collection Borghèse. Certaines œuvres, dont 154 statues achetées par Napoléon Bonaparte au profit des collections françaises, entrent dans les murs du Louvre. En 1833, la famille Borghèse se fragilise, la collection s’amoindrit, le prince François Borghèse signe un fidéicommis rendant l’ensemble inaliénable, avant que l’État italien ne rachète le musée en 1902. 

 

Surprenante similitude avec la Galerie Borghèse, le Musée Jacquemart-André est le reflet d’une soif de collectionnisme de ses fondateurs, d’une aisance à déceler la valeur artistique d’une œuvre et d’un goût profond pour la Renaissance et le Baroque italiens. Le Musée Jacquemart André, au regard de sa collection et de ses expositions, devient un lieu important de diffusion de l’art italien en France. Et il ne semble pas être le seul à apprécier l’accueil et la présentation de collections italiennes : Ca’d’Oro, chefs-d’œuvre de la Renaissance à Venise à l’Hôtel de la Marine, Naples à Paris au Louvre, Botticelli : deux madones à Chambord, Ribera, Ténèbres et lumière au Petit Palais, etc : ces dernières années, les échanges entre les institutions culturelles françaises et italiennes se multiplient, dans le cadre de prêts de collection pour des expositions à portée internationale.

  

Léa Sauvage 

 

Pour en savoir plus :  

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