Un son de cloche retentit près du musée portuaire de Dunkerque, venant du navire La Duchesse Anne : à son bord, une enfant pleine de joie se rêve matelote, tenant du bout de ses bras la corde d’un gong des mers.

Le bateau-école La Duchesse Anne, devant le Musée Portuaire de Dunkerque, AD

 

Dès votre montée sur le trois-mâts, vous découvrez les cordages, les filets et tout ce dont un voilier avait besoin pour être manœuvré par plus d’une centaine de paires de bras, poussé à la simple force du vent afin de sillonner les eaux du globe. À vos yeux, le navire semble intact, comme s’il n’avait jamais navigué. Vous êtes sur La Duchesse Anne. Face à vous se dresse le mât principal, vous levez la tête pour apprécier ses 48 mètres de hauteur, mais à peine avez-vous atteint sa fusée que vous entendez un son de cloche provenant du pont supérieur à l’avant. Annoncerait-il le début d’un événement ? Comme une reconstitution de la vie des matelots sur le navire ? Vous vous approchez et voilà que sonne la cloche de nouveau, cette fois suivie d’un rire d’enfant. Lorsque vous l’apercevez, vous voyez une petite fille trônant fièrement au côté de la cloche, face à ses parents immortalisant le moment.

La cloche de quart n’est pas très grande, a fière allure et paraît ancienne. À ses pieds se trouve une corde qui remonte jusqu’au battant. La famille s’en va et deux visiteurs habitués s’approchent, empoignent la corde puis la tirent. Un son agréable et peu commun, mais une pensée vous submerge : « Comment est-ce possible ? Ce bateau fait partie de la collection du musée, c’est un objet patrimonial qu’il faut conserver. A-t-on vraiment le droit de le manipuler ? » Aucune barrière ni aucun panneau pour nous interdire de la toucher. D’ailleurs, vous ne le remarquez que maintenant, mais à l’exception de quelques panneaux narrant l’histoire du navire, il n’y a que très peu d’éléments muséographiques.

 

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Cloche du bateau-école La Duchesse Anne, AD

 

Le bateau, entièrement rénové, est aujourd’hui un bateau-musée. La cloche est bien d’origine et on peut la manipuler, on y est même invité ! Tout comme plusieurs autres éléments du navire, que vous pourrez découvrir au gré de votre visite.

 

Le bateau-école

Ce navire a été construit en 1901 dans le chantier de Bremerhaven. Eh oui, à l’origine, c’était un navire allemand, et plus précisément un bateau-école qui servait à la formation des futurs matelots et officiers de la marine marchande jusqu’en 1932. Il s’appelait le Großherzogin Elisabeth. C’est au terme de la Seconde Guerre mondiale qu’il est passé sous pavillon français lorsqu’il a été offert par la Grande-Bretagne en tant que dédommagement de guerre. Depuis, la Marine nationale n’en avait guère l’utilité, à l’exception de quelques fois où il était utilisé comme dortoir pour des casernes ou des colonies de vacances. Petit à petit, il a été délaissé et régulièrement squatté, jusqu’en 1981 où il a été racheté par la ville de Dunkerque pour un franc symbolique.

Cet achat inaugure un nouveau cap pour la vie du navire devenu épave. L’association Les Amis de La Duchesse Anne est fondée pour le rénover entièrement et l’entretenir. Au terme de vingt années de labeur et en l’honneur de son centenaire, la Duchesse Anne devient un bateau-musée, fleuron de la flotte du Musée Portuaire de Dunkerque.

 

Conserver et exposer un bateau à flot

Avant de monter sur le navire, si vous demandez à l’agent d’accueil ce qui est visitable, il vous répondra : « tout, mais que les quartiers du capitaine sont actuellement fermés au public en raison d’infiltration d’eau ». Un comble pour un bateau. En effet, celui-ci n’a jamais été conçu pour être un lieu de médiation, ni même pour rester indéfiniment à quai. Non pas qu’il serait mieux conservé en mer, mais que son usage obligerait à entretenir et à remplacer ses pièces. Depuis qu’il fait partie des collections du musée, c’est à présent l’établissement et non plus l’association qui en a la charge. Bien qu’il soit régulièrement entretenu aux frais de la communauté urbaine, force est de constater qu’il subit les affres du temps : que la rouille se développe au même titre que la moisissure sur le bois, au point où même la végétation commence à y pénétrer. À noter que cette dernière était inattendue et plaisante à voir sur le pont, d’autant plus qu’elle dénote avec le caractère industriel du port.

Il ne restait pas grand-chose du navire lorsqu’il a été récupéré par Dunkerque : il n’y avait plus de voiles, une ancre manquait, sans compter le mobilier porté disparu, mais il restait la cloche de quart, qui est d’origine et qui n’avait par chance jamais bougé. La manipulation s’oppose sans doute à la conservation, mais quoi de mieux pour le visiteur, voire une cloche derrière une vitrine où la voir en action, ce pour quoi elle a été destinée ? Conserver, ce n’est pas uniquement faire perdurer un objet dans le temps. Conserver un objet c’est aussi conserver son usage. Comme les matelots, sonnons la cloche.

 

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Ancre du bateau-école La Duchesse Anne & végétation sur le pont, AD

 

Dans la peau des matelots

De bateau-école à bateau-musée, le trois-mâts est un outil pédagogique. Son objectif muséographique est de faire découvrir aux visiteurs la vie des matelots et officiers à bord, en passant par le nettoyage des ponts, l’entretien des voiles, les cours de langue ou encore la cuisine. En dehors des visites guidées, les visiteurs ont à disposition un document-guide qui les conduit dans les différentes parties du navire : c’est lui qui narre l’histoire du bâtiment et le quotidien de ses occupants.

Je m’attendais à des mises en scène afin d’apprécier au mieux le quotidien des marins, mais le navire en était dénué. Il y a bien des tables d’époque, quelques hamacs et l’aménagement sommaire des quartiers des officiers, mais pas plus. Je n’avais que le document-guide, des panneaux et mon imagination pour entrevoir les activités qui s’y tenaient cent ans avant que j’y pose les pieds. Seules les quelques photographies d’époque de l’intérieur du navire permettent de se rendre compte de sa vie passée.

 

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Quartier d'équipage du bateau-école La Duchesse Anne, aujourd'hui et avant, AD

 

Toutefois, la visite n’en reste pas moins impressionnante pour quiconque rêve un jour de mettre les pieds sur ces voiliers d’antan. La Duchesse Anne possède une histoire très riche, bien mise en avant. Quant à la volonté de nous faire découvrir la vie de ses matelots, c’est une idée développée lors des médiations, mais qui reste timide en visite libre, la faute à une scénographie légère. Aujourd’hui, le navire est toujours ouvert au public, sauf parties fermées dans l’attente d’une prochaine restauration, qui, avec un peu d’espoir et de financement, s’accompagnera d’une scénographie plus ambitieuse.

 

Antoine Dabé

 

Pour en savoir plus :

  • Daniel Le Corre, Le Trois-mâts « Duchesse-Anne » : Collection Mémoires de nos voiliers, puis collection « Bretagne », Montreuil-Bellay, éditions CMD, 1999
  • Jean-Louis Molle, Le Trois-Mâts carré « Duchesse Anne », ex voilier-école allemand « Grossherzogin Elisabeth », Punch Éditions, 1999.
  • La Duchesse Anne sur le site de la ville de Dunkerque (ville-dunkerque.fr).
  • Viste des bateaux : Duchesse Anne et Sandettié, Spirit of Dunkerque, tourisme et congrès (dunkerque-tourisme.fr).
  • Duchesse Anne (trois-mâts carré), Wikipédia (fr.wikipédia.org)

 

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