L’exposition « Silence » part du postulat que le silence est rare dans nos sociétés modernes et sur-stimulantes : tout bouge et évolue, les moyens d’accaparer l’attention se multiplient, notamment par le biais des courriels, réseaux sociaux et autres - « Ding ding ! » applications aux notifications infernales rappelant à l’ordre les utilisateur.ices.

Il faut traiter immédiatement la notification, consulter ou faire glisser hors du champ de vision la petite icône, sous peine de la voir longuement trôner dans un encadré angoissant, « barre des tâches », de l’écran. A contrario, ce qui demande un effort et un peu de courage, c’est d’activer le mode avion.

L’habitude facile, pourtant dommageable, est de continuer ainsi même dans une  exposition smartphone parasite en poche, au lieu de s’ancrer autant que possible dans le présent, et de s’avancer vers une expérience inconnue. Cette exposition fait exception : écouteurs sur la tête, le.la visiteur.euse est immergé.e dans le silence.

« Silence » (Cité des sciences et de l’industrie, Paris) a l’ambition d’être une exposition immersive, vous amenant à expérimenter le silence sous différentes formes, avec un fort objectif méditatif. A l’aide d’un dispositif binaural généré en temps réel et d’un casque, vous évoluez individuellement dans l’espace de l’exposition, selon vos envies. Un système de captation de la position de chacun assure un parcours sonore individualisé.

Le but principal est d’explorer les multiples facettes du silence, qu’il soit perçu comme un refuge, une absence ou un espace d’introspection. Le scénario d’exposition se décline en 6 modules, décomposant le sujet (voir Plan). L’ensemble est conscrit entre une introduction et une conclusion décisives, comme des sas sensibles et par lesquels les visiteur.ices peuvent s’ancrer dans l’expérience.

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Plan, Dossier enseignants de l’exposition Silence. © Cité des sciences et de l’industrie, Paris.

 

Ce premier temps est une familiarisation avec le sujet et le type d’approche, laissant à chacun.e la possibilité de s’habituer au dispositif auditif. Dans une salle aux revêtements cotonneux, l’image d’un paysage blanc est projetée, doucement animée par la neige tombant en continu. Ayant pris place sur les assises, vous écoutez la voix accompagnatrice expliquer le déroulé de l’exposition et la diffusion particulière du son en accord avec les déplacements.

Vous évoluez maintenant au centre de l’exposition, avec d’un côté le phénomène du bruit et de l’autre, celui du silence. Complémentaires, ces deux sections accès sur l’aspect physique interrogent l’intensité du son et l’existence du silence absolu ; en réduisant au maximum le bruit extérieur par exemple, vous expérimentez la chambre anéchoïque, une salle d'expérimentation dont les murs et le plafond sont totalement absorbants aux ondes sonores ou électromagnétiques. Mais observerez-vous pour
autant un silence parfait ? C’est le battement de votre cœur que vous entendez ?

Après avoir abordé les oppositions silence/bruit, vient l’ambivalence du sujet : le silence est-il constamment une source de bien-être ? En s’appuyant sur deux exemples d’isolement, l’un délibéré et l’autre subi, le module traite de la relation du silence avec l’être humain, ses liens positifs comme négatifs sur son développement psychique.

 

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Vue de la salle introductive. © N Breton-EPPDCSI

 

Plus prégnant encore, le silence volontaire anime un module voisin. Dédiée à l’expérience de Sara Maitland, isolée sur une île déserte pendant quarante jours, le module s’intéresse au potentiel d’introspection quasi-métaphysique de ce son et ses conséquences sur la conscience humaine.

Dans une approche historique, une section propose quelques exemples où le bruit et le silence ont marqué les sociétés à des périodes différentes, telles qu’à l’époque antique via l’Odyssée d’Homère, la période contemporaine, ou plus immémorial, durant le Big Bang, un cataclysme cosmique imaginé par tous et toutes comme bruyant. La reconstitution de ces scènes, sous forme de saynètes audio créées pour l’occasion, vous transporte dans ces moments clé ; comme lors des bombardements pendant les guerres mondiales ou lors d’une journée immaculée de bruit dans un cloître médiéval.

Enfin, le silence est contextualisé dans les environnements urbains modernes, notamment via la construction d’espaces significatifs tels que la chambre d’hôtel et la salle de concert. Sous quelles formes le silence existe-t-il dans ces lieux ? Quels refuges silencieux face à la pollution sonore omniprésente ? L’intégration de productions artistiques célèbres (l’œuvre musicale 4’33 de John Cage, et le poème Ma vie n’est pas de Rainer Maria Rilke) interroge également le bruit en tant que matière inspirante.

Enfin, le module conclusif prévoit une rencontre sonore méditative avec Niklaus Brantschen, jésuite et maître zen, qui partage ses réflexions sur les effets guérisseurs du silence, les bienfaits de la méditation, et la perspective d’un silence qui « relit et guérit ». Les mêmes assises qu’à l’introduction vous sont proposées pour pouvoir sereinement clôturer ce voyage et ouvrir les perspectives de l’« après-visite » du.dela visiteur.euse.

Captiver avec des sons et des silences

Conçue par le Musée de la Communication de Berne, l’exposition a précédemment ouvert ses portes en Suisse en 2018 sous le titre de « Sounds of Silence », en tant que premier grand projet depuis la réouverture de l’institution en août 2017. L’utilisation de la technologie du son binaural, loin d’être un gadget de l’exposition, modèle une expérience réaliste en permettant de recréer l’effet d’une écoute naturelle en 3D, comme si le son provenait de l’environnement réel. En utilisant des microphones placés à la hauteur des oreilles humaines, cette technique capture les sons en tenant compte de leur direction et de leur distance. Cette diffusion réaliste s’adapte aussi en temps réel aux déplacements du public, faisant de chaque parcours une expérience unique.

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Vue de l’ambiance graphique, Silence. © N Breton-EPPDCSI

 

Notons également que ce dispositif audio, allié à des vidéos et images d’environnements (paysage enneigé, forêt, mur d’une cellule, vue urbaine nocturne etc.) est entièrement chargé de médiatiser les contenus. Si ce choix peut paraître risqué, trop monotone, il permet de conscrire l’attention du public. Celui-ci, absorbé par le réalisme de la production, prend connaissance de la variété de formes dans la trame auditive : récits d’un point de vue externe racontant notamment l’histoire de l’ermite Christopher Knight ayant choisi de vivre sans contact humain pendant 27 ans, l’interprétation du poème de Rilke, reconstitutions, texte de création lyrique portant sur l’expérience de l’absence de stimuli (la « torture blanche »), vulgarisation scientifique, etc. Plus largement, un bel équilibre est respecté entre les propos et leurs incarnations, notamment avec des exemples parlants et compatibles avec le format audio, respectant le principe d’immersion.

L’effort muséographique pour attiser l’attention des visiteur.euses est soutenu par un design intérieur minimaliste, clair et calme, ayant reçu le IF Design Award 2020. Les
choix de n’exposer aucun objet et de dissimuler à la perfection l’équipement technologique façonnent une expérience visiteur intuitive et favorisent la construction d’un paysage sonore. Au-delà d’espaces reconstituant des environnements précis tels qu’une cellule d’isolement ou la forêt, est appliqué un langage visuel qui éclaire les contenus plus abstraits ; lignes graphiques, torturées dans divers sens, associations, formes, et rythmes, évoquent les propagations d’ondes sonores, ou au contraire, des vides indiquent leurs absences.

Tout.e seul.e, ensemble

« - Tu ne te sens pas trop isolée avec ce casque ?
- Hein ? Qu’est-ce que tu dis ?
- Non rien laisse tomber… »

 

En fin de parcours, en retirant l’équipement de vos oreilles, vous aurez l’impression de renouer avec les autres, et plus spécifiquement avec vos accompagnant.es. En réalité, c’est le bruit et l’agitation environnants que vous rejoignez. Vos semblables, eux, ne vous ont jamais vraiment quitté. Ils étaient juste-là, à côtés, attentifs.

En principe, le dispositif audio utilisé comme seul principe de visite fait craindre une expérience isolante. Ici, la technologie mobilisée fait sens avec le sujet présenté et soutient une démarche réflexive, resserrée sur l’individu et sa manière de gérer le silence. En poussant vers un retour à soi, contrôlant les stimuli proposés, le dispositif permet un moment de méditation, vécu de manière plus ou moins simultanée, qui trouve une résonnance particulière en chacun.e. L’isolement du casque permet donc de créer cette bulle personnelle, et de traiter du silence de manière immersive.

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Vue du module « ambivalence du silence », Silence. © N Breton-EPPDCSI

 

Enfin, la dimension poétique de cette mise en silence réside dans le partage simultané – ou presque, des expériences, et ce, sans piper mot. Les espaces étant rattachés à des pistes audio précises, vous partagez avec les inconnu.es avoisinant.es les mêmes contenus. Asseyez-vous ici, à côté de cette personne pour apprécier l’histoire racontée ; à quel moment de la piste en est-elle ? Pouvez-vous le deviner en observant ses réactions ou sa gestuelle ? Comment ressent-elle cela ? Tente-t-elle de deviner vos pensées en retour ? Ces divagations s’établissant, vous expérimentez une autre facette du silence, qui ne figurait peut-être pas au synopsis de l’exposition, qui est celle du silence vécu en relation, par une attention et une imagination propre à chacun.e.


Romane Ottaviano

Exposition crée par le musée de la Communication, Berne.
« Sounds of Silence » du 7 novembre 2018 au 7 juillet 2019.
Actuellement à la Cité des sciences et de l’industrie, Paris.
« Silence » du 10 décembre 2024 au 31 août 2025.

Pour aller plus loin :
https://youtu.be/wQQHZcbHKdA
2018 | Museum of Communication | Bern - usomo

 

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