La reconnaissance de la dimension spirituelle des objets dans les musées est une préoccupation partagée par diverses cultures. Cette considération influence la manière dont les objets sont exposés, conservés et interprétés, en respectant les croyances et les pratiques des communautés d'origine. Comment les musées intègrent-ils ces considérations spirituelles dans leurs pratiques muséales ?

Une approche collaborative avec les communautés autochtones

Dans de nombreuses cultures autochtones, les objets conservés dans les musées ne sont pas seulement des artefacts matériels, mais des entités investies d’une signification spirituelle. Leur gestion dans les institutions muséales prend donc en compte ces particularités immatérielles pour éviter toute décontextualisation ou appropriation irrespectueuse.

Le soin des objets sacrés ou culturellement sensibles repose sur un partenariat entre les musées et les communautés autochtones. Selon les recommandations du Gouvernement du Canada, ces consultations permettent de comprendre des aspects comme le pouvoir intrinsèque des objets et leurs implications pour ceux qui les manipulent ou les exposent.Le concept maori de Mana Taonga, qui considère les objets comme des ancêtres vivants, exige un traitement adapté. Cette philosophie, adoptée par des institutions comme le Musée Te Papa Tongarewa en Nouvelle-Zélande, place les communautés au cœur du processus décisionnel. Elles participent progressivement depuis les années 80 à la définition des soins nécessaires pour les objets, qu’il s’agisse de rituels spécifiques ou de la mise en place de protocoles restrictifs. Cela inclut la gestion de masques ou d’autres objets cérémoniels, qui peuvent avoir été séparés de leur communauté d’origine pendant longtemps sans perdre leur pouvoir ni leur importance.

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Espace sacré maori Rongomaraeroa, Musée Te Papa Tongarewa, Nouvelle-Zélande, 2019. © Johnny Hendrikus. Te Papa.

 

Ainsi, de nombreux musées mettent en place des restrictions d’accès et d’exposition. Certains objets ne peuvent être vus ou manipulés que par des personnes initiées, des chamans, ou des personnes d’un sexe spécifique. Par exemple, des restrictions interdisent l’accès à des femmes enceintes ou en période de menstruation. Les objets particulièrement sensibles sont placés dans des vitrines opaques ou dans des espaces restreints pour limiter leur exposition au grand public.

Respect et sacralité de certains objets asiatiques

L’exposition de certains objets provenant des traditions shintô et bouddhistes en Asie nécessite une attention particulière pour respecter leur caractère sacré et préserver
les sensibilités des pratiquants.

Les statues de Bouddha, incarnant les enseignements spirituels, sont souvent exposées dans des espaces dédiés aux distractions minimisées. Ces environnements recréent
parfois l’ambiance d’un temple, avec bougies, encens et coussins de méditation. Ces salles peuvent être réservées aux pratiquants ou nécessiter la présence de guides
spirituels. De plus, par souci de respect, il est tenu d’exposer et d’entreposer les statues de Bouddha de sorte que la tête dépasse les objets qui l’entourent.

Les thangkas, peintures bouddhistes tibétaines, servent de supports visuels pour la méditation et sont utilisées dans des rituels spécifiques. Elles sont également présentes
lors de rituels d’initiation ou de purification. Leur manipulation est restreinte aux pratiquants qualifiés ou aux moines, pour préserver leur intégrité spirituelle.

Les masques rituels d’Asie de l’Est, quant à eux, sont perçus comme des incarnations d’esprits ou de divinités. Leur exposition peut être temporaire, limitée à des cérémonies
spéciales, pour éviter toute profanation ou perte de pouvoir spirituel. De même, les statues de Kannon, déesse de la miséricorde dans le bouddhisme Mahāyāna, sont souvent présentées dans des espaces propices au recueillement, accompagnées éventuellement de chants ou prières.

Comme pour les cultures autochtones, les musées asiatiques consultent régulièrement des moines, prêtres ou praticiens pour s’assurer du respect des traditions spirituelles. Le musée royal de Mariemont, à l’occasion de l’exposition Bouddha, l’expérience du Sensible (2024-2025), a notamment fait appel avant l’ouverture au public à des bouddhistes pour garantir une présentation respectueuse.

 

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Vue de l’exposition Bouddha, l’expérience du Sensible. Musée royal de Mariemont, Belgique,2024. © Paulette Nandrin.

Défis communs, solutions spécifiques

Les objets spirituels liés aux traditions africaines, comme ceux du vodoun, posent également des défis particuliers aux musées. Ces objets, tels que les masques et les fétiches, sont investis de pouvoirs sacrés, d’un rôle actif lors de cérémonies. D’où des solutions spécifiques : l’exposition dans des espaces dédiés, la tenue de rituels de
purification ou encore la restriction de l’accès à certains publics.

 

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Un fétiche bizango en tissu rembourré. Le scanner révèle la présence d’une croix de cimetière, un crâne, des bouteilles renfermant des âmes. Exposition Zombis, musée du Quai Branly, France, 2024. © Léo Delafontaine.

 

Les objets des religions monothéistes requièrent aussi des protocoles de traitement pour les reliquaires catholiques ou pour les rouleaux de parchemin de la Torah des Juifs,
que les restaurateurs ne doivent pas réparer, à moins d’avoir suivi une formation spéciale et obtenu la sanction de la communauté. De même, l’exposition des rouleaux de la Torah est soumise à des conditions particulières. Ne sont exposés que les rouleaux ne pouvant plus être utilisés pour la lecture publique en raison de dommages ou d’altérations. Il est essentiel de présenter les objets religieux en évitant toute banalisation ou profanation de leur usage en les accompagnant de supports éducatifs appropriés.

La problématique de la spiritualité des objets dans les musées reflète une prise de conscience croissante de la complexité et de la diversité des cultures représentées. Qu’il
s’agisse d’objets autochtones, asiatiques ou africains, ces artefacts incarnent des dimensions immatérielles qui nécessitent des approches adaptées. En collaborant avec les communautés d’origine, en limitant l’accès aux objets sensibles, et en créant des environnements qui respectent leur sacralité, les musées parviennent à concilier leur mission éducative avec le respect des croyances spirituelles. Ces pratiques encouragent une compréhension plus profonde et plus respectueuse des cultures, contribuant ainsi à la valorisation des diversités culturelles et à la préservation des héritages spirituels.

 

Nina Colpaert

Pour en savoir plus :
Note d'information générale sur les politiques relatives à l'autonomie gouvernementale et aux revendications territoriales globales du Canada et sur l'état actuel des négociations PARIS, Camille, « Visions chamaniques. Arts de l’Ayahuasca en Amazonie péruvienne », Le magazine du Master Expographie Muséographie, 2024. : https://formation-exposition-musee.fr/l-art-de-muser/2519-visions-chamaniques-arts-de-l-ayahuasca-en-amazonie-peruvienne

PARIS Camille, « Musées et communautés autochtones, vers un partage des pouvoirs au musée ? », Le magazine du Master Expographie Muséographie, 2024.
https://formation-exposition-musee.fr/l-art-de-muser/2514-musees-et-communautes-autochtones-vers-un-partage-des-pouvoirs-au-musee

Tchénando Patrick Noukpo, Les masques africains : des patrimoines identitaires dans la diversité culturelle entre espaces profane et sacré au Bénin, thèse de doctorat en
Sociologie. Université de Lorraine, 2020.
https://theses.hal.science/tel-03208608/

 

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