Voyagez entre passé, présent et futur, en découvrant des collections d’art contemporain qui vous accueillent dans un contexte historique et architectural original ! 

Transformer ces lieux aux XXe et XXIe siècles

 Quelle(s) Histoire(s) ?

Espace dédié à la production d’expositions de projets in situ commandés à des artistes italiens et internationaux, la Pinacothèque Agnelli, inaugurée en 2002, résulte d’une transformation du quartier Lingotto à Turin, qui fut l’un des principaux sites industriels de FIAT. Jusqu’en 2019, le bâtiment abritait le siège et les bureaux du constructeur italien. Aucune FIAT Torpedo, 508 Balilla, 500 Topolino ou Lancia Delta n’est présente aujourd’hui. Si ce sont les voitures qui vous intéressent, dirigez-vous plutôt vers le Museo nazionale dell’Automobile situé à une vingtaine de minutes de la Pinacothèque. Si vous souhaitez avoir une vue panoramique sur Turin et sur les Alpes tout en déambulant à travers des projets d’installations artistiques, vous êtes au bon endroit. La Pinacothèque présente un parcours d’exposition en plein air qui s’étend sur la piste historique du toit du Lingotto, la Pista 500, utilisée par l’usine FIAT pour les essais automobiles. Les interventions opérées entre réaménagement architectural et passé industriel invitent à découvrir un circuit fermé au public au XXe siècle devenu une piste désormais ouverte semée d’installations sonores et de sculptures. La collection permanente de la Pinacothèque comprend 25 œuvres acquises par Giovanni Agnelli et Marella Caracciolo. Si vous aimez l’art européen, vous tomberez sous le charme de l’art vénitien du XVIIIe siècle de Canaletto, les statues en plâtre d’Antonio Canova, l’impressionnisme de Auguste Renoir, ou le futurisme de Giacomo Balla. Quant aux expositions temporaires, elles sont conçues et produites spécifiquement pour les espaces de la Pinacothèque. Entre expositions monographiques consacrées à des artistes contemporains (Salvo. Arrivare in tempo, Thomas Bayrle. Form form Superform, Sylvie Fleury. Turn me on...), la Pinacothèque organise des séries d’expositions intitulées Behind the Collection qui mettent en regard des parcours transhistoriques et transgénérationnels entre des artistes contemporains et des œuvres de la Pinacothèque. En 2023-2024, l’exposition Vulcanizzato faisait dialoguer l’œuvre de Lucy McKenzie avec Antonio Canova, et en 2022-2023, un dialogue artistique s’est opéré entre Simon Starling et Giambattista.

Le passé du Château de Rivoli est plus rocambolesque que la Pinacothèque Agnelli, accrochez-vous bien...

Forteresse militaire au XIe siècle, propriété de la Maison de Savoie au XIIe siècle, résidence de cour au XVIIe siècle, caserne militaire au XIXe siècle et situé à 15km de Turin, le Château de Rivoli accueille désormais une collection permanente et des expositions temporaires d’art contemporain. Le château, dressé sur la colline de l’amphithéâtre de Rivoli-Avigliana, se compose de deux structures : le château dans son aspect du XVIIIe siècle et la Manica Lunga (Aile Longue) construite dans les années 1600 et longue de plus de 140 mètres. L’historique architectural et historique détaillé remonte au XVIIIe siècle lorsque le duc Emmanuel-Philibert transforme sa première résidence piémontaise en palais d’agrément. Le complexe s’enrichit de la Manica Lunga qui correspond à la pinacothèque ducale et qui accueille aujourd’hui les expositions temporaires. Au XVIIIe siècle, cœur battant de la vie de cour de Savoie, le château reçoit au sein de sa pinacothèque les artistes les plus renommés de l’époque comme Sebastiano Conca, Sebastiano Ricci, Gaspar van Wittel, ou encore Francesco Trevisani.

Victor-Amédée II de Savoie, roi de Sicile, confie à l’architecte Filippo Juvarra l’agrandissement du château, un projet jamais abouti pour cause d’emprisonnement de Victor-Amédée II et du nouveau roi, Charles-Emmanuel III, qui ne souhaita pas continuer les travaux, préférant d’autres résidences comme le Palazzina di Caccia di Stupinigi (le Palais de la Chasse de Stupinigi). De l’entrée du château, nous pouvons observer l’arrêt des travaux avec les bases qui attendent leurs colonnes, restées dans la vallée de Suse.

  

À gauche : Entrée du Château de Rivoli vers la collection permanente ©LS.
À droite : Rampe FIAT menant à la piste 500 sur le toit du Lingotto, Pinacothèque Agnelli ©LS.

 

Mutations architecturales et modernisation

Dès le XXe siècle, la Pinacothèque Agnelli et le Château de Rivoli voient leur architecture se métamorphoser dans le cadre de l’avènement des deux institutions culturelles.

Véritable symbole de l’architecture industrielle, le Lingotto fut construit de 1916 à 1923 par l’architecte Giacomo Mattè Trucco qui s’inspira de l’usine Ford de Highland Park. Mesurant plus de 150 000m2 et 500 mètres de longueur, le Lingotto est l’une des premières constructions entièrement conçues en béton armé à Turin. Ce centre industriel majeur en Italie ferme ses portes en 1982. Le site devient le reflet du déclassement des zones industrielles. Un an après, l’architecte Renzo Piano remporte le contrat de réaménagement de l’usine. Le projet architectural défend le recyclage industriel et la revalorisation du lieu comme un morceau de ville dans la ville. Ainsi dialoguent sur cinq étages, bureaux, logements, hôtels, commerces, restaurants, centre des congrès, héliport, auditorium Giovanni Agnelli, et la Pinacothèque Agnelli inaugurée en 2002. L’architecture intérieure originelle ne trahit pas la mémoire du lieu. Le centre commercial accueille ses visiteurs par la chaîne de montage en spirale qui dessert chaque étage jusqu’à la toiture du bâtiment : la Pista 500. Véritable emblème du site et prouesse architecturale, les 1,5 kilomètre de la Pista 500 deviendront iconiques, et figureront dans le film The Italian Job de Peter Collinson en 1969. Sous la demande de Giovanni Agnelli, Renzo Piano complète cet espace par la Bolla, un ovni entièrement constitué de verre qui a pour fonction d’être une salle de réunion panoramique pouvant accueillir une vingtaine de personnes. Le réaménagement du site fut également l’objet d’un questionnement environnemental.

Benedetto Camerana et Cristiana Ruspa du Giardino Segreto Studio conçoivent un jardin de 28 mètres de hauteur, inséré au cœur du Lingotto et composé de plus de 40 000 plantes et 300 espèces et variétés choisies selon un critère écologique : utiliser uniquement des plantes du Piémont et des zones limitrophes.

« La Pista 500 est le plus grand jardin sur toit d’Europe, et la décision de la
construire sur le toit d’une usine du début du XXe siècle a pour nous une valeur
hautement symbolique : un lieu qui, il y a cent ans, était une source de pollution par
excellence, et une piste qui était alors secrète et inaccessible, et qui devient
aujourd’hui un jardin ouvert à tous les habitants de Turin. Tout cela souligne le fait
que notre objectif n’est pas seulement de promouvoir les voitures : notre nouvelle
voie inclut également le respect du climat, de la communauté et de la culture. »

Olivier François, PDG de FIAT et CMO de Stellantis, Stellantis.

À gauche : La Bolla, Pinacothèque Agnelli, Lingotto, Turin ©SB.
À droite : Le Scrigno, Pinacothèque Agnelli, Lingotto, Turin ©LS.

 

Au XXe siècle, après que le Château de Rivoli ait été endommagé par l’armée et que le mobilier ait été vendu durant la période napoléonienne, la Région Piémont décide de prendre le château en prêt à usage pendant 29 ans et de le restaurer sous l’égide de l’architecte turinois Andrea Bruno à l’occasion du centenaire de l’Unité d’Italie en 1961. Le budget étant trop moindre pour l’ampleur des travaux, le bâtiment ne put se satisfaire que de réparations structurelles avant que les murs, les plafonds, les fresques et stucs ne soient de nouveau infiltrés par l’eau quelques années après, provoquant des effondrements. Face à cette urgence patrimoniale, la Région du Piémont s’engagea dans des campagnes de travaux en vue de créer un établissement recevant du public et d'accueillir un musée d’art contemporain, inauguré en 1984. À la structure du bâtiment, conservée pour les parties n’ayant pas souffert des dommages précédents, s’ajoutèrent des structures modernes en acier et en verre. L’escalier de métal à l’intérieur du bâtiment dédié aux expositions temporaires, l’ascenseur entièrement constitué de verre laissant le visiteur entouré du paysage environnant, et le plongeoir panoramique en verre au troisième étage du bâtiment abritant l’exposition permanente - donnant alors la possibilité au visiteur de se retrouver seul face à l’intensité de ce bâtiment et des paysages du Piémont qui l’entourent - sont désormais devenus des éléments incontournables de l’architecture du château. Néanmoins, d’autres problématiques se posent quant à la restructuration du site de Rivoli, rappelons-le, situé sur une colline dans les hauteurs de la ville de Rivoli. De 2007 à 2010, la refonte du flanc de la colline sud-est est confiée aux architectes autrichiens Hubmann Vass afin d’estomper cet effet de frontière et de créer un lien plus fort entre la ville et le Château de Rivoli. L’ascension, alors simplifiée par des escaliers et des escalators, prend la forme d’une route linéaire, où, à chaque pallier, le flâneur rencontre une nouvelle perspective de Rivoli et de son château.

 

À gauche : Escalier métallique, intérieur de la Manica Lunga, Château de Rivoli ©LS.
À droite : Extérieur de la Manica Lunga, Château de Rivoli ©LS.

 

Une nouvelle vie à travers l’art contemporain

Le marquis Panza di Biumo, important collectionneur d’art contemporain, vient en aide à Rivoli en quête d’un lieu où installer une partie de sa collection. C’est en 1984 que le musée d’art contemporain est inauguré dans le château qui devient un complexe à vocation publique et culturelle, ayant même l’honneur d’être le premier musée d’art contemporain d’Italie ! Le musée s’articule sur trois étages d’exposition dans le château : deux étages comprenant la collection permanente axée sur l’Arte Povera (Art Pauvre), la Trans-avant-garde, le Minimalisme, le Body Art (art corporel) et Land Art (utilisation des matériaux de la nature), et le troisième étage réservé aux expositions temporaires. Le troisième étage de la Manica Lunga est également un espace d’exposition temporaire.

Au Château de Rivoli, l’art contemporain est insufflé par des artistes venus spécialement à Rivoli pour produire des œuvres in situ au sein des pièces du château et de la Manica Lunga, mais s’inscrit également dans leurs thématiques et programmations d’expositions temporaires. Depuis son ouverture, le château a mis en avant de nombreux artistes italiens (Giovanni Anselmo, Lucio Fontana, Luciano Fabro, Mario Merz, Giuseppe Penone...), et des artistes internationaux comme Richard Long, Christian Boltanski, Karel Appel, ou encore Otobong Nkanga. Si nous nous concentrons sur les artistes italiens, nous remarquons que ces derniers appartiennent pour la plupart au mouvement de l’Arte Povera. Cette thématique se révèle être récurrente au sein du site depuis son ouverture dans les années 1980. La dernière en date est celle intitulée Mutual Aid – Art in collaboration with nature (31.10.24-23.03.25) portée par Marianna Vecellio et Francesco Manacorda et traitant de l’interdépendance entre les humains et la nature, des années 1960 à nos jours. Cette exposition présente des œuvres engagées portées par des artistes de l’Arte Povera et des artistes influencés par la réflexion critique et artistique de ce mouvement des années 1960 à Rome et Turin. Ce mouvement s’accorde au cadre naturel du Château de Rivoli, situé sur les hauteurs de la ville avec vue directe sur les Alpes. L’identité du musée se dessine alors grâce aux réflexions critiques artistiques actuelles (écologiques, numériques, technologiques, géopolitiques)défendues au sein de ses parcours temporaires et permanents.

La collection de la Pinacothèque Agnelli est également constituée par un collectionneur d’art : Giovanni Agnelli, une personnalité italienne importante, à la fois copropriétaire et dirigeant du groupe FIAT. Il a constitué au fil des décennies un ensemble prestigieux de peintures et de sculptures, avec son épouse Marella Caracciolo. À l’origine destinée à revêtir les murs de leurs résidences privées, la collection Agnelli porte l’empreinte d’une sélection personnelle et intime rassemblant des chefs d'œuvre de l’art européen, parmi celles de Canaletto ou Canova, reflétant son goût pour les grands maîtres de l’histoire de l’art, mais également Matisse, La Baigneuse blonde de Renoir, Picasso, etc. Giovanni Agnelli joue également un rôle central dans la promotion de l’art en occupant des postes dans les conseils d'administration d’institutions renommées parmi le Palazzo Grassi, le Louvre et le Moma. En 2002, Giovanni Agnelli lègue à la ville de Turin une collection de 25 tableaux en l’installant au cœur du Lingotto, dans les salles permanentes de la Pinacothèque Agnelli.

 

Entre conservation et innovation : une expérience muséale singulière avec de nouvelles formes de réactivation des lieux par les artistes

Ancien site industriel, la Pinacothèque Agnelli est réactivée grâce à des sculptures et des installations sonores présentes sur la Pista 500 qui sont le résultat de commandes de la Pinacothèque passées auprès d’artistes. A titre d’exemple, l’institution fait appel en 2023 à Alicja Kwade pour réaliser Against the Run, une sculpture s’intégrant à merveille entre les parterres de fleurs de la Pista 500 car gardant un lien entre passé et présent. L’horloge, d’apparence ordinaire à première vue, a ses aiguilles qui semblent se déplacer vers l’arrière alors qu’en vérité, c’est le cadran de l’horloge qui bouge, tandis que les aiguilles continuent de marquer l’heure exacte. Cette horloge en aluminium se connecte à l’histoire de l’usine Lingotto car le design s’inspire du modèle À gauche : Against the Run, Alicja Kwade, 2023, Pinacothèque Agnelli, Lingotto, Turin ©SB.
À droite : Horloge présentée dans l’exposition Casa FIAT ©Pinacothèque Agnelli.d’horloge utilisé historiquement dans les usines FIAT. Cette évocation du rôle central que jouait la mesure du temps dans l’usine en tant qu’indicateur principal de la productivité des travailleurs fait aussi référence au « coup des aiguilles de l’horloge ». En 1920, en opposition à la mise en œuvre de l’heure d’été, les ouvriers FIAT Brevetti de Turin décident de reculer d’une heure toutes les horloges de l’usine.

À gauche : Against the Run, Alicja Kwade, 2023, Pinacothèque Agnelli, Lingotto, Turin ©SB.
À droite : Horloge présentée dans l’exposition Casa FIAT ©Pinacothèque Agnelli.

 

Les installations sonores dans l’espace extérieur sont exploitées aussi bien à la Pinacothèque Agnelli qu’au Château de Rivoli. A la Pinacothèque, l’œuvre sonore Temps mort (Échauffement de Melody) (2022) de Cally Spooner est conçue avec et pour les espaces de l’ancienne usine FIAT. Cette partition pour violoncelle résonne dans les cinq étages de la rampe que les ouvriers utilisaient pour amener les voitures des chaînes de montage à la piste d’essai sur le toit du Lingotto. La mélodie, Suite pour violoncelle n°1 en sol de Bach (Prologue), est rythmée par un « bip » intermittent, un écho à un des bruits présents dans les usines. Ce travail sur les formes de contrôle et de répartition du temps entre en résonance, comme chez Alicja Kwade, avec le travail à la chaîne et la difficulté à distinguer son temps libre de son temps productif. Le travail de Cally Spooner sur l’exploration de temporalités différentes - de la musique classique dans un lieu industriel, une rampe en béton armé froide et vide - donne à ce site une dimension mystérieuse. Un médiateur invite les visiteurs à poursuivre leur visite de la Pista 500 vers cette rampe qu’on ne voit pas au premier abord. En arrivant devant cette dernière, cet important rappel visuel nous remémore la rampe que nous avons vue en entrant dans le centre commercial ; elle s’impose à nous comme élément principal. Si les visiteurs ne sont pas au courant de l’existence de la Pista 500 ou ne sont tout simplement pas venus visiter la Pinacothèque, cet élément imposant en béton surprend. C’est pourquoi, en arrivant par le haut de cette rampe par le biais de la Pista 500, tout s’éclaire : cette rampe étrange vue du centre commercial qu’on n’ose explorer est en fin de compte réinterprétée quelques étages plus haut, de façon sonore, en donnant du sens à cet espace, et de ce fait, le fait revivre.

Les installations sonores sont présentes au Château du Rivoli à l’entrée des escaliers extérieurs menant au parcours permanent. Néanmoins, les musiques, The Internationale (1999) de Susan Philipsz et Senza Titolo (Untitled) (1995) de Max Nehaus, sont beaucoup moins évocatrices qu’à la Pinacothèque Agnelli. Les visiteurs ne comprennent pas le lien créé entre les musiques proposées, ce qu’ils entendent, et le lieu. De plus, les cartels ne sont pas d’une grande aide car, si nous ne connaissons pas les musiques proposées, même en lisant les explications données sur les œuvres sonores, nous ne savons pas quelle musique citée correspond à ce qu’on entend. Toutefois, ce site historique est tout aussi bien investi au sein des espaces permanents qu’à la Pinacothèque, en axant le travail des artistes sur des installations ou créations in situ. La salle dédiée à SolLeWitt soulève la question de l’enlèvement ou du renouvellement de l’œuvre qui est plus complexe, car l’artiste a peint une multitude de couleurs sur les quatre murs et le plafond. Comment renouveler le parcours permanent avec des œuvres créées in situ à-même les murs ? Faut-il changer les œuvres ne nécessitant qu’un transport d’une réserve d’œuvres aux salles ? Repenser totalement les espaces et repeindre les murs en blanc pour exposer de nouvelles œuvres ou faire appel à un nouvel artiste pour une création in situ ?

A l’occasion d’expositions temporaires, les commissaires d’exposition réalisent des commandes auprès d’artistes qui investissent le lieu et dont les œuvres sont ensuite
laissées au sein du parcours permanent. Ce fut le cas pour Roberto Cuoghi qui, à l’occasion d’une exposition monographique lui étant dédiée en 2008, a créé SS(IZ)m
dalla serie / from the series Pazuzu (2010) qui s’inscrit remarquablement dans la salle 12 du parcours permanent. Au premier abord, nous pourrions penser que cette œuvre trônant au milieu de la pièce est réalisée en marbre noir, tandis que cette dernière est conçue à l’aide d’un système digital qui a reproduit à l’identique la Statuette du démon Pazuzu, conservée au musée du Louvre à Paris. Cette créature apotropaïque à deux visages, divinité secondaire de Mésopotamie, dialogue avec les bustes de sculptures classiques de femmes et d’hommes du château. Cette association d’ancien - bustes en marbre et peintures murales du XVIIIe - et de contemporain, permet au Château de Rivoli d’avoir une identité forte quant à l’implication de l’art actuel au sein d’un passé historique troublé par les changements de règnes, pillages, et adaptations du lieu. La dualité entre palais d’agrément et œuvres contemporaines passe aussi par l’installation d’œuvres audiovisuelles. Les vidéos, les images et les sons nous immergent dans des dispositifs dénonçant le consumérisme et les conséquences environnementales et technologiques. Ces ambiances ambivalentes sont l’exemple-même de l’évolution du lieu : des plafonds peints avec des scènes allégoriques, aux écrans projetant des images de robots.

À gauche : Statuette du démon Pazuzu en bronze, surmontée d’un anneau de suspension, Assyrie, vers le VIIe siècle avant JC, Musée du Louvre ©Musée du Louvre.
À droite : SS(IZ)m dalla serie Pazuzu, Roberto Cuoghi, 2010, Château de Rivoli ©LS.

 Comment ces lieux s’adressent-ils aux publics ?

Le Château de Rivoli adopte une médiation écrite particulièrement accessible aux publics les moins avertis. Dans son exposition permanente comme dans l’exposition
temporaire Mutual Aid. Arte in collaborazione con la natura, les cartels bilingues (italien et anglais) s’éloignent du langage souvent hermétique des lieux d’art contemporain. Ils décrivent de manière simple la démarche de l’artiste et le processus de création de l'œuvre lorsqu’il a lieu. Ce mode d’adresse favorise une meilleure appropriation de l’art contemporain, souvent perçu comme élitiste ou abstrait. À l’inverse, la médiation écrite à la Pinacothèque Agnelli adopte une approche plus traditionnelle, notamment dans le cadre de son exposition temporaire, Salvo.Arrivare in tempo. Ici, les cartels sont délaissés au profit des textes de salles, qui fournissent des clés de lecture générales plutôt qu’une approche œuvre par œuvre. Ce parti-pris pousse le visiteur à observer, contempler, des toiles de l’artiste Salvo, à s'imprégner de leur atmosphère colorée sans nécessairement chercher à en comprendre immédiatement le sens ou l’origine. Est-ce un parti-pris délibéré ? Contempler l’art, le ressentir, n’est-ce pas également lâcher prise sur la volonté de le comprendre, de le cerner ? Cette approche peut certes générer une certaine frustration chez les visiteurs.

Dans l’offre de médiation orale, les deux institutions présentent des différences notables. A la Pinacothèque Agnelli, les salles et les visites guidées semblent davantage être fréquentées par un public averti, touristes ou scolaires d’âge mûr, qui déambulent aux côtés des médiateurs de la Pinacothèque. Tandis que sont majoritairement des groupes scolaires élémentaires et secondaires qu’on retrouve au sein des expositions du Château de Rivoli. Cette fréquentation peut s’expliquer par la situation géographique du lieu emblématique, alors seul musée situé dans la commune de Rivoli, mais également par le choix des œuvres exposées. Des installations comme Tube de Trichoptère #1 réalisé par Hubert Duprat ou Le lâcher d’escargots de Michel Blazy, incongrues, loufoques, captivent les jeunes visiteurs en facilitant une appréhension de l’art contemporain. Pourtant, le parcours permanent du Château de Rivoli ne se prive pas d’exposer des œuvres plus déroutantes encore. Novecento de Maurizio Cattelan, son cheval naturalisé pendu à une corde au centre d’une salle illustre parfaitement le goût de choquer, la volonté de susciter un malaise. Cette œuvre aujourd’hui emblématique de la collection interroge sur son mode de présentation, difficile d’accès pour un jeune public et dépourvu de trigger warning. Bien que les deux institutions semblent accueillir le jeune public, une limite demeure, celle d’un parcours spécifiquement conçu pour les enfants ou familles en visite libre. Si certaines œuvres du Château de Rivoli favorisent naturellement leur compréhension dans les cartels écrits, aucun fil rouge spécifique n’est proposé.

Novecento, Maurizio Cattelan, 1997 cheval empaillé, élingues en cuir, corde, Château de Rivoli ©LS.

Conserver la mémoire, conserver le patrimoine ?

Réaménager un site historique, c’est faire un choix, celui de conserver ou de transformer, celui de mettre en valeur le passé ou d’intégrer le contemporain, le château de Rivoli en est un exemple troublant. L’architecte Andrea Bruno, lui, adopte une approche qui interroge notre rapport au patrimoine : doit-on restaurer intégralement ou laisser visibles les marques du temps ? Comment réaménager un site sans altérer sa mémoire ? Dans la Manica Lunga, bâtiment abritant l’exposition temporaire, Andrea Bruno manie l’équilibre de la conservation du site et de sa restructuration en optant pour des structures en acier et en verre qui préservent la lisibilité extérieure du bâtiment et de ses formes archaïques. Certains espaces de l’exposition permanente sont restaurés, à l’image d’une salle située au premier étage, érigé par Filippo Juvarra, ou de l’appartement du duc d’Aoste. D’autres sont volontairement inachevés, les fresques alors presque effacées, les lacunes des stucs conservées en abandonnant l’idée d’une reconstitution fidèle de l’époque des Savoie. Ces choix font d’Andrea Bruno un pionnier de la réversibilité. Ces altérations fascinent, invitent à la nostalgie, à l’imagination d’une vie antérieure que le temps a tenté d’effacer de ces murs. Alors que ces vestiges semblent pourtant si évocateurs, le musée d’art contemporain les rend presque absents en renonçant à accompagner le visiteur dans un historique détaillé. Aucun cartel ni texte de salle n’évoque l’histoire du lieu à l’intérieur des parcours, là où la présence de l’art contemporain pourrait prendre le dessus sur l’identité plurielle du château. 

The Salt Traders (I commercianti di sale), Anna Boghiguian, 2015, Château de Rivoli ©LS.

 

À l’inverse, la Pinacothèque Agnelli adopte un parti-pris distinct dans la valorisation de l’histoire du Lingotto. Si le bâtiment a été transformé, l’histoire industrielle du lieu
reste omniprésente. Au carrefour de la boutique, la bibliothèque, la cafétéria et des accès aux expositions temporaire et permanente, l’exposition Casa FIAT, imaginée en collaboration avec l’entreprise, retrace l’évolution de FIAT depuis sa création en 1899 jusqu'à aujourd’hui. Photographies d’archives, structures de modèles FIAT, affiches de réclame, maquettes et objets iconiques témoignent de la continuité entre l’histoire du site et son usage actuel du lien étroit entre l’architecture futuriste du lieu et le design automobile. Aujourd’hui, FIAT et le Lingotto continuent de nouer des liens avec d’autres institutions voisines comme le Musée de l’Automobile, le Centre historique FIAT et le Heritage Club dans laquelle objets de collection et archives sont présentés.

 

Séléna Bouvard & Léa Sauvage

En savoir plus :
Pinacothèque Agnelli : https://www.pinacoteca-agnelli.it/en/
Château de Rivoli : https://www.castellodirivoli.org/en/

 

#Artcontemporain #Architecture #Patrimoine

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