Situé à Nancy, le palais des ducs de Lorraine - Musée lorrain regroupe trois sites classés monuments historiques : le Palais Ducal et son jardin, l’église et le couvent des Cordeliers, ainsi que le Palais du Gouvernement.
Le Palais Ducal est construit à partir de la fin du XIVème siècle, à la suite de la victoire du duc René II de Lorraine à la bataille de Nancy1. À partir de 1739, les bâtiments deviennent propriété de la Ville, et une partie est détruite afin d’édifier le palais de la Nouvelle Intendance, l’actuel Palais du Gouvernement inaugurée en 1755.
Au nord du Palais Ducal, l’église et le couvent des Cordeliers, bâtis à la fin du XVe siècle, se distinguent par une particularité rare : l’église, toujours affectée au culte, reste consacrée au sein même d’un ensemble muséal.
Fermé au public depuis 2018, le palais des ducs de Lorraine - Musée lorrain connaît un tournant décisif. Face aux critiques récurrentes d’associations patrimoniales, le projet d’extension a été abandonné en juin 2025 au profit d’une restructuration plus sobre et recentrée sur le bâti existant.
La rénovation du Musée lorrain soulève des questions fondamentales sur notre rapport au patrimoine. Entre respect de l’histoire et exigences contemporaines, comment intervenir sans figer ni trahir ?
Du palais au musée : l’épopée du Musée Lorrain
Dès 1829, la Société d’Archéologie lorraine s’efforce de créer un musée au sein du Palais Ducal pour rassembler les antiquités de la région et les œuvres de ses figures illustres. Malgré plusieurs échecs, le projet aboutit en 1851 avec l’ouverture du Musée historique lorrain dans une partie du vestibule du palais, inscrit dès 1840 sur la première liste des monuments historiques.
Adolphe Maugendre, Les débuts du Musée historique lorrain, dessin au graphite coloré à l'aquarelle, 1860, conservé au Palais des ducs de Lorraine - Musée lorrain, Nancy. © Palais des ducs de Lorraine, Musée Lorrain, Nancy
Grâce à de nombreux dons (peintures, tentures, sculptures, objets d’art), le musée s’enrichit et est inauguré en 1862 dans la galerie des Cerfs. En 1869, un catalogue recense déjà 1 415 œuvres.
Mais dans la nuit du 16 juillet 1871, un incendie éclate dans le bâtiment de la gendarmerie, une partie voisine de l'église des Cordeliers. Le feu ravage une aile restaurée, la galerie des Cerfs, le plafond et la toiture du palais. Si quelques œuvres sont sauvées, la majorité, dont des portraits ducaux et toute la bibliothèque de la Société d’archéologie lorraine disparaît. Seul le rez-de-chaussée abritant les collections d’archéologie et de sculpture est épargné ; au moins la moitié des œuvres sont détruites.
Quelques mois après le sinistre, la Ville de Nancy décide de construire une caserne de gendarmerie à la place du jardin des Cordeliers. En échange, elle obtient l’usage complet des ruines du palais ducal, dont la restauration est prise en charge par l’État. Mais la municipalité choisit ensuite d’y bâtir une école supérieure de garçons, obligeant la Société d’Archéologie lorraine à renoncer au fait d’installer le musée dans l’ensemble du palais. Après d’importants travaux, le musée rouvre en 1875.
En 1895, les collections du musée atteignent près de 3 000 objets, soit presque le double qu’en 1869. En 1908, il est réorganisé en quatre sections (archéologie ; objets d’art et mobilier ; estampes, livres et sceaux ; numismatique), chacune confiée à un conservateur bénévole de la Société. Deux ans plus tard, une section dédiée à l’art populaire est créée, accompagnée de nouveaux espaces d’exposition, tandis que l’École supérieure de garçons est transférée dans les bâtiments du jardin.
Un nouveau plan de restructuration lancé en 1934 aboutit à l’inauguration du nouveau Musée lorrain le 6 décembre 1937, avec une muséographie repensée comprenant 31 salles contre 7 auparavant. Le musée s’enrichit ensuite d’une salle sur le judaïsme, puis d’un laboratoire d’archéologie des métaux, à l’origine en 1966 du musée de l’histoire du fer à Jarville-la-Malgrange (l’actuel Féru des Sciences).
Toujours en expansion, le musée manque de place et réorganise sans cesse ses espaces. Il est préconisé en 1995 de faire de l’établissement « un musée de synthèse au niveau régional dans les domaines qui sont les siens : archéologie, art, histoire, ethnographie », et de le rendre davantage accessible aux publics.
Musée Lorrain de Nancy © Agence DUBOIS & Associés / Agence MIL-LIEUX / Patrice CALVEL / Atelier du Paysage
Un projet de rénovation et d'extension contesté
Le projet de rénovation et d’extension du musée est lancé dans les années 2000, après l’approbation de son projet scientifique et culturel. Il réunit la Ville de Nancy (maître d’ouvrage), la Société d’histoire de la Lorraine et du Musée lorrain, l’État et la Région.
Des fouilles révèlent des objets liés à la vie de cour entre les XVème et XVIIIème siècles, tandis qu’un chantier des collections recense près de 155 000 pièces. En 2013, le musée adopte son nom actuel : le palais des ducs de Lorraine - Musée lorrain.
En avril 2018, cinq ans après le concours international d’architecture remporté par l’agence Dubois & Associés, le musée ferme ses portes au public.
La Commission nationale des monuments historiques émet un avis favorable sur le projet architectural en septembre 2014. Cependant, des fouilles menées par l’INRAP révèlent l’importance du « mur de Baligand », construit vers 1745. Face à cette découverte, le Ministère de la Culture demande une révision du projet pour préserver ce vestige, initialement destiné à être détruit. La Ville de Nancy adapte donc le projet, qui est approuvé par la Commission en octobre 2016.
Après trois tentatives infructueuses d'appel d'offres entre 2018 et 2019, le projet remanié trouve enfin preneur après cinq années d’attente.
Le projet prévoyait la construction d’un pavillon en verre sérigraphié de 35 mètres de long à la place des bâtiments dits de « fond de cour », jugés sans intérêt patrimonial par la Ville.
Ces bâtiments comprenaient : le mur de Baligand et l’écurie du XVIIIème siècle qui auraient été déconstruits puis remontés, avec des ajouts contemporains, ainsi que l’ancienne gendarmerie du XIXème siècle ayant aussi servi d’établissement scolaire. Face à la mobilisation des opposants, cette partie du projet a été annulée en 2021.
Toutefois, malgré un projet allégé, les critiques persistent. En réaction au lancement des opérations préliminaires, les associations Sites & Monuments (association nationale) et Défense et avenir du patrimoine nancéien ont déposé un référé-suspension, invoquant l’interdiction de démolir un bâtiment classé sans déclassement préalable par le Conseil d’État.
Le tribunal administratif a donné raison aux opposants le 12 février 2025, ordonnant la suspension des travaux sur cette partie du chantier.
Selon les opposants, le projet viole le plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) qui sert à protéger, restaurer et encadrer l'évolution des secteurs historiques dans le but de préserver le patrimoine. Les opposants ne remettent pas en cause le principe d’une extension, mais critiquent son architecture, jugée incompatible avec l’environnement historique, notamment le bâtiment en verre sérigraphié, perçu comme trop intrusif.
Juin 2025 : un nouveau tournant majeur
Lors d'une conférence de presse, le maire de Nancy a annoncé l’abandon du projet d’extension. Face à une explosion des coûts passés de 43 à 54,5 millions d’euros en huit ans, la municipalité opte pour une révision complète du projet. Désormais recentré sur la seule restructuration du palais ducal, le nouveau plan prévoit de réaménager les espaces existants sans creuser de nouveaux volumes en sous-sol.
Si cela implique une possible réduction des surfaces dédiées aux expositions temporaires, les espaces d’exposition permanente seront conservés.
Le nouveau calendrier fixe la désignation du maître d’œuvre à 2028, avec un début des travaux en 2029 et une réouverture envisagée à l’horizon 2033.
Ce temps de redéfinition est aussi, selon le directeur Richard Dagorne, l’occasion de repenser en profondeur les contenus du musée à l’aune des enjeux contemporains (genre, pouvoir, mémoire) et d’opérer un retour aux fondations, à la fois architecturales et intellectuelles, du projet muséal.
Ainsi, une question essentielle se pose : comment intervenir sur un bâtiment historique sans trahir son essence, tout en lui permettant de répondre aux exigences contemporaines ? Rénover un bâtiment historique, c’est marcher sur une ligne de crête entre deux écueils : la destruction excessive au nom de la modernité, et la conservation figée qui empêche toute évolution.
Dans ce débat, la nuance requiert justement de considérer chaque bâtiment, chaque usage, chaque époque.
Il est temps de faire preuve de bon sens : intervenir, non pas pour effacer l’histoire, mais pour lui permettre de continuer. Restaurer et adapter sans figer, tel est le défi. La réponse n’est ni dans la pure conservation, ni dans la rupture, mais dans un dialogue intelligent entre passé et présent.
Solène Bérus
Pour en savoir plus :
Palais des ducs de Lorraine - Musée lorrain - Le projet de rénovation : https://musee-lorrain.nancy.fr/le-musee/le-projet-de-renovation-1
Beaudouin architectes - Musée lorrain Nancy : http://www.beaudouin-architectes.fr/2013/11/projet-musee-lorrain-nancy/
Le Journal des arts, https://www.lejournaldesarts.fr/patrimoine/nouveau-rebondissement-dans-le-projet-du-musee-lorrain-178436, Nouveau rebondissement dans le projet du Musée lorrain, Marion Krauze, publié le 19/06/25, [consulté le 29/06/25].
Bibliographie:
Jean-Marie Collin, « Le palais ducal de Nancy, de Charles IV à Stanislas », Pays Lorrain « 150 ans pour faire l’histoire (hors-série) », 1998.
Lonny Bourada et Hélène Duval, « Les apports de l’archéologie à la connaissance de l’histoire du palais ducal au XVIIIe siècle », Pays Lorrain, vol. 99, 2018.
Laurent Jalabert et Pierre-Hippolyte Pénet, La Lorraine pour horizon. La France et les duchés, de René II à Stanislas, Cinisello Balsamo, SilvanaEditoriale, 2016.
Étienne Martin et Pierre-Hippolyte Pénet, L’église des Cordeliers : Le sanctuaire des ducs de Lorrain à Nancy, Nancy, Société d’Histoire de la Lorraine et du Musée Lorrain, 2022.
Bénédicte Pasques, « Brève histoire illustrée du Musée lorrain », Pays Lorrain, vol. 99, mars 2018.
Martine Mathias, « Anciennes muséographies et perspectives nouvelles pour le Musée Lorrain », Pays Lorrain « 150 ans pour faire l’histoire (hors-série) », 1998.
Thierry Dechezleprêtre et Marie Gloc, « La restauration du palais ducal de Nancy au XIXe siècle », Pays Lorrain « 150 ans pour faire l’histoire (hors-série) », 1998.
Pierre Marot, « Le Musée historique lorrain : œuvre de patriotisme, instrument de culture », Pays Lorrain, vol. 1, 1976.
Paul Sadoul, « Le Musée Lorrain, mémoire de la Lorraine », Pays Lorrain « 150 ans pour faire l’histoire (hors-série) », 1998.
Fabrice Mazaud, « Un regard sur le projet architectural », Pays Lorrain, vol. 99, mars 2018.
Sophie Mouton, « Le musée en partage », Pays Lorrain, vol. 99, mars 2018.
Le Journal des arts, https://www.lejournaldesarts.fr/patrimoine/musee-lorrain-quest-ce-qui-gene-les-associations-patrimoniales-170916, Musée lorrain, qu’est-ce qui gêne les associations patrimoniales ?, Marion Krauze, publié le 14 février 2024, [consulté le 05/05/25].
#PalaisdesducsdeLorraine–Musée lorrain #Défenseursdupatrimoine #Extension #Rénovation