Bédarieux : une ville culturelle enracinée dans son histoire
Petite ville de 6 000 habitants nichée en Occitanie, Bédarieux intrigue par son calme et sa discrétion. Au loin, le viaduc reliait au XIXe siècle le bassin minier au réseau ferré vers la Méditerranée. La ville, en plein essor industriel, prospéra pourtant jusqu’au milieu du XXe grâce à l’industrie textile, les tanneries, les fours à chaux, la chimie et la construction mécanique.
«L’endroit n’a rien d’une destination touristique, encore moins d’un bassin d’emploi dynamique. Les rares passants rencontrés le reconnaissent volontiers : la vie a déserté la ville depuis bien longtemps » affirme le rédacteur en chef de Libération, le 21 avril 2021. Bédarieux apparaît même comme une ville de « taiseux » …
Loin des destinations touristiques ou des bassins d’emploi, elle n’en affiche pas moins une belle ambition. Comme rétorque son maire avec humour : « Il faudrait que vous vous penchiez sur les villes comme la nôtre... pour montrer celles et ceux qui se battent pour redresser ces coins de France trop longtemps délaissés, mais pleins d’avenir ! ».
A présent, Bédarieux s’épanouit à travers l’art : ce renouveau passe par une dynamique culturelle forte. Nouveau cinéma, salles de spectacles, médiathèque, festivals… la ville propose une diversité d’activités. La Maison des Arts, située dans l’ancien Hospice Royal Saint-Louis classé Monument Historique, regroupe depuis 2003 un Espace d’Art Contemporain reconnu pour ses expositions d’artistes locaux et internationaux.
Bédarieux est aussi marquée par l’émergence d’espaces de création privés comme « Le 31 ». L’artiste Nicolas Bexon, tombé amoureux de la ville, s’y est établi et s’investit pleinement. Avec une vie associative dynamique et des habitants engagés, Bédarieux prouve qu’elle sait allier discrétion et créativité pour se réinventer.
Le peintre du pays à l’honneur : exposition “Pierre Auguste Cot - La Collection”
Pierre Auguste Cot, né à Bédarieux, a toujours gardé un lien fort avec sa ville natale malgré son succès parisien. Propriétaire du Mas Tantajo, il y passait ses étés à peindre, entouré de sa famille, organisant des soirées conviviales avec ses amis comme Alphonse Daudet. Il offrait également des toiles et réalisait des portraits pour les habitants. Depuis 1947, un buste sur la place qui porte maintenant son nom rappelle l’attachement de la ville à cet artiste emblématique.
En 2024, l’exposition « Pierre Auguste Cot – La Collection » célèbre son œuvre et son héritage en exposant plusieurs de ses toiles. Le vernissage a réuni plus de 500 personnes, et de nombreux élèves et visiteurs ont ensuite découvert ses peintures, enrichies par des prêts d’institutions régionales comme le Musée Fabre de Montpellier. L’exposition est dynamisée par les élèves du Lycée des Métiers de Fernand Léger qui ont participé à la reconstitution d’un salon semblable à celui de Cot. La collecte de dons pour restaurer les œuvres de Cot a été organisée par la Fondation du Patrimoine, représentée par Jean Lavastre, délégué territorial de l’Hérault.
Pour le maire, cet événement permet aux habitants de redécouvrir un artiste qui incarne à la fois l’ouverture et l’ancrage de Bédarieux dans son patrimoine.
Les femmes à l’honneur
L’exposition met en lumière les représentations féminines dans l'œuvre de l'artiste.
La première salle présente six portraits de femmes, soulignant leur place importante dans son travail, qu’il s’agisse de proches ou de Bédariciennes. Le « Portrait de Madame Gervais » témoigne de la délicatesse avec laquelle Cot peignait ses modèles féminins, souvent issus de la bourgeoisie. Le buste de Madame Cot attire également l’attention dans la première salle.
Espace d’Art Contemporain (Bédarieux), © Pauline Mabrut
Ces œuvres témoignent de la formation rigoureuse que Cot a reçue auprès de ses maîtres, tels que Alexandre Cabanel.
Dans la seconde salle est exposée une peinture d’une prestance déroutante : “Mireille faisant l’aumône à la sortie de Saint-Trophime”, dans laquelle est représentée Mireille pleine de grâce et de grandeur, offrant quelques pièces à un mendiant dont le modèle était un jeune bédaricien.
Pierre-Auguste Cot revisité
L'exposition "Cot Revisité" se tient dans l’Atelier d’Art de Nicolas Bexon, où 25 artistes contemporains membres de l’association des 4CM (Créatrices et Créateurs du Caroux au canal du Midi) réinterprètent les œuvres de Pierre Auguste Cot.
Avec le soutien logistique de la mairie, cette exposition pose la question : que penserait Cot, l’artiste académique, des réinterprétations contemporaines de ses œuvres ? À l’époque, l’artiste répondait aux attentes ; aujourd’hui, il suscite réflexion et émotions.
L’exposition offre un parcours surprenant, où les artistes jouent avec humour et profondeur, toujours avec talent. Cette réinvention vivante de l’œuvre de Cot, après plus de 150 ans, réveille son héritage et invite les Bédariciens à découvrir ce grand artiste trop méconnu.
Parmi les œuvres, une jeune Ophélia, tablette tactile en main, observe silencieusement les visiteurs, tandis que sa robe (symbolisée par la robe de mariée de la mère de l’artiste) suspendue au mur ajoute un air mystérieux, nous faisant penser au travail de Sophie Calle.
Atelier d’Art Nicolas Bexon (Bédarieux), © Pauline Mabrut
Les artistes réinterprètent le célèbre "Printemps" avec des touches humoristiques ou provocatrices : des peintures retravaillées, des poupées Barbie mises en scène, une balançoire suspendue au-dessus d'un petit bassin…
Les femmes peintes par Cot sont au cœur de la question de l’émancipation féminine au fil des âges. L’artiste Catherine Philippe symbolise cette réappropriation par des éléments forts : un cintre portant un fœtus dénonçant les souffrances liées à l’avortement, et une autre œuvre, "La Prison Dorée", où une femme est prisonnière de barreaux d’or. “Mon travail créatif consiste à revisiter l’histoire de l’art avec un regard féministe, en utilisant des reproductions d’œuvres connues et reconnues sur lesquelles j’ajoute des éléments afin de rendre compte du vécu des femmes” explique l’artiste sur un cartel de l’exposition. Un hommage puissant à la lutte pour les droits et les libertés des femmes, brodé sur les œuvres.
Atelier d’Art Nicolas Bexon (Bédarieux), © Pauline Mabrut
L’« Orage » de Cot a été réinterprété, avec l’ajout de l'article 213 du Code civil de 1804 : « Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari ». Ainsi, la supposée Virginie devient l’otage de son compagnon, le toit du foyer se tissant peu à peu au-dessus de sa tête.
Atelier d’Art Nicolas Bexon (Bédarieux), © Pauline Mabrut
Revisiter une œuvre, c’est aussi revisiter l’Histoire de l’Art et réfléchir au rôle de l’artiste dans la société de son époque. De nombreux artistes participant à cette initiative ont évolué du figuratif vers l’abstraction ou le conceptuel, tout en abordant l’œuvre de Cot avec respect, et en l’ancrant dans les questions contemporaines mais déjà rencontrées dans le passé. Comme il l’est spécifié, l’art contemporain peut parfois déstabiliser, et certains visiteurs pourraient être surpris par ces interprétations modernes de l’artiste. Mais cette démarche est aussi une manière de s’approprier l’œuvre pour n’en retenir que l’essentiel, ce que chaque artiste a fait avec sa manière de percevoir les tableaux de Cot.
Un petit clin d'œil à David Beckham, qui, en arborant fièrement deux tableaux de Cot tatoués sur ses mollets, a permis à l’artiste bédaricien de conquérir des millions de fans de foot – et d’autres, probablement moins habitués des musées, mais tout aussi impressionnés par ses muscles !
Atelier d’Art Nicolas Bexon (Bédarieux), © Pauline Mabrut
La revitalisation des petites villes rurales est essentielle et à encourager. Bédarieux, avec Pierre Auguste Cot, dispose d’un héritage artistique précieux mais longtemps sous-exploité. Comme le souligne une commerçante qui a participé au jeu de piste “à la recherche des œuvres de Cot” en parallèle de l’exposition, pour beaucoup d’habitants, Cot n’était jusqu’à récemment que le nom de la place ou de l’arrêt de bus. Son œuvre restait largement méconnue car peu mise en avant par la ville. Pourtant, grâce à des expositions et des actions culturelles ambitieuses, Bédarieux exploite davantage ce patrimoine et l’affiche en tant que fierté. Ces initiatives permettent non seulement de reconnecter les habitants à leur histoire, mais aussi de dynamiser la ville, de s’ouvrir à la culture et d’attirer un nouveau public. Chaque commune, lorsqu’elle dispose d’un artiste local ou d’une richesse patrimoniale, peut saisir cette opportunité pour se dynamiser. L’art a ce pouvoir de transformer les territoires en leur redonnant vie et cohésion.
Pauline Mabrut
Pour aller plus loin :
Extrait du journal municipal de décembre 2024, Bédarieux :
https://www.bedarieux.fr/phototheque_publique/Journal-Municipal/2024/12/Journal-municipal-Decembre-2024-Webpdf.pdf
Dossier de Presse de l’Exposition :
https://www.bedarieux.fr/phototheque_publique/Presse/2024/11/Dossier-de-presse-Exposition-PA-COTpdf.pdf
A propos de Cot, Association Résurgences, Bédarieux :
https://resurgences.weebly.com/pierre-auguste-cot.html
Autres actions culturelles en lien avec la thématique :
Du 21 au 30 novembre : jeu de piste à la recherche des œuvres de Cot à travers les différents commerces de la ville, permettant de gagner des bons d’achat et des places de cinéma.
Le vendredi 27 décembre à 18h30 : Conférence "Pierre Auguste Cot, le bédaricien" par l'association Résurgences, à l'Espace d'Art Contemporain.
Le vendredi 3 janvier à 18h30 : Concert d'orgue par Marc Chiron, à l'église Saint-Louis (hommage et improvisations sur des tableaux de Cot, en écho à l’exposition Pierre Auguste-Cot - La Collection).
Le samedi 11 janvier à 18h30 : Conférence "La restauration du Prométhée Enchaîné" par Roos Campman, à l'Espace d'Art Contemporain.
Autres expositions en lien avec la thématique :
Barbara Chase-Riboud : Quand un nœud est dénoué, un dieu est libéré
“Jusqu'en janvier 2025, huit grands musées parisiens honorent l'artiste américaine Barbara Chase-Riboud. L'exposition présente une quarantaine d'œuvres de bronze et de soie, explorant des thèmes tels que l'histoire culturelle et la représentation des femmes.” - Ville de Paris
Louvre Couture, objets d’art, objets de mode
“Du 24 janvier au 21 juillet 2025, le Musée du Louvre à Paris propose une exposition explorant les liens entre les chefs-d’œuvre de ses collections et des pièces de mode créées par de grands noms du milieu. Cette mise en miroir souligne l'influence des arts sur la création textile, avec une attention particulière aux représentations féminines.” - Toute l’Europe
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