Petits ou grands à l’instar du Louvre, seul ou à plusieurs comme à Bourges, en France ou à l’étranger tel le muséum de Neuchâtel : plusieurs musées se sont lancés ces dernières années l’ambitieux défi de déménager tout ou partie de leurs collections. Pourquoi ? À cause d’un manque de place dans les infrastructures d’origine, d’une nécessité de mutualiser des espaces afin de réduire certains coûts ou encore afin de garantir une conservation optimisée des collections. Alors on sort les cartons et le papier bulle et on s’y met ? Pas si vite...Au musée comme à la maison, un déménagement nécessite un endroit approprié où atterrir, des moyens humains et financiers ainsi qu’une bonne dose d’organisation. Car si certain.e.s profitent d’un déménagement pour réagencer la disposition des meubles du salon, les nouvelles réserves, elles, doivent pouvoir accueillir les collections dépoussiérées, étiquetées et classées dans un ordre bien précis. Pour cela de nombreuses étapes et différents outils sont pensés afin de faciliter le déroulé de cette phase importante dans la vie d’un musée.
Camion du muséum permettant le déplacement des équipes. Derrière, le congélateur.
L’exemple du Muséum d’histoire naturelle de Neuchâtel en Suisse.
Diorama de la collection permanente
Il comporte une riche collection de dioramas, fortement inspirés des œuvres des peintres naturalistes Léo-Paul Robert (1851-1923) et son fils Paul-André Robert (1901-1977). Cette technique de mise en scène, très appréciée dès les années cinquante, permet de présenter des animaux dans leurs environnements naturels et leurs milieux de vie. Mais seule une infime partie des spécimens abrités par le musée est exposée.
Au total, on recense plus de 20 000 oiseaux, mammifères, reptiles, amphibiens et poissons mais aussi 8 642 coquilles d’œuf, 1 veau à deux têtes, 32 366 mouches et bien d’autres choses. Plus précieux encore d’un point de vue scientifique, trois cents spécimens ayant servi à la description d’espèces sont conservés. On les appelle des « types » et ils restent encore aujourd'hui des références à l’échelle mondiale pour les professionnels de la biologie et de l’histoire naturelle. Par ailleurs, certains animaux appartiennent à des espèces disparues comme le Grand Pingouin ou le Thylacine. On comprend dès lors la volonté du muséum d’apporter un soin particulier à ses collections et de les conserver dignement tout en les gardant accessibles pour la recherche.
1, 2, 3...déménagements !
Installé à son origine dans le collège latin puis dans une ancienne École de Commerce depuis presque 50 ans, le muséum n’en est pas à son coup d’essai en matière de migration des collections. L’année 1982 avait déjà marqué certains esprits puisque le musée, fidèle à sa thématique, avait adopté la méthode « fourmi ». La légende dit que, mobilisant l’école secondaire voisine, chaque élève s’était vu confier le transport d’un spécimen de petite taiIle, acheminé à pied jusqu’au nouveau musée à trois cents mètres de là, créant une joyeuse file indienne. Un procédé écologique et farfelu que l’institution n’a pas souhaité remettre en place cette fois-ci.
Aujourd’hui, les réserves situées au sein du bâtiment ne permettent plus d'assurer de bonnes conditions de conservation. En effet la place se fait rare et les fluctuations de
températures et d’humidité relative, surveillées de près en conservation préventive, ne correspondent pas aux normes climatiques souhaitées. Heureusement, un important
chantier a été mis en place afin d’assurer le transfert de tout ce monde dans un nouveau lieu appelé le pôle muséal. Celui-ci, dont la a construction s’est achevée en 2022, est géré par la ville de Neuchâtel. Le lieu abrite également les réserves du musée d’ethnographie, du jardin botanique, du musée d’art et d’histoire ainsi que les archives de la ville. Le muséum y dispose d’une salle pour les spécimens en alcool, une salle oiseaux, deux salles mammifères, une salle géologie, une salle insectes, un espace pour le travail sur les collections, etc. Les équipes se rendent d’ailleurs chaque début de semaine sur site, épaulés par des déménageurs spécialisés en transport d’œuvres d’art. Jour de fermeture de l’institution au public, le lundi est en effet un moment privilégié pour effectuer des transferts.
Collection d’oiseaux dans les anciennes réserves.
Au matin, les caisses qu’il contient en sont extraites après avoir passé une semaine à -35 degrés. De quoi permettre aux spécimens ayant bénéficier de ce traitement rafraichissant de se débarrasser d’éventuelles larves d’insectes cachées entre deux plumes ou poils. Après cela, ils pourront être déplacés en camion afin de découvrir leur
nouveau lieu de vie. Là-bas, les tablars qui permettront de les accueillir ont été montées sur mesure afin qu’aucune tête ne dépasse ou se cogne. Chaque rangée d’étagères a également reçu un nom correspondant à sa localisation et à la typologie de spécimens qui s’y trouvera. MAM/B, OIS/ W... Mais comment faire le lien entre ces nouveaux
emplacements et les centaines de caisses qui arrivent ? Revenons un peu en arrière... Initiée il y a déjà plusieurs années, une vaste campagne a permis de faire le point sur
ce que contenait précisément le musée. L’occasion d’attribuer à chaque spécimen un QR code facilitant l’accès aux données le concernant mais aussi de vérifier son état et
de le débarrasser des poussières. À présent, lorsqu’un spécimen se prépare à quitter le musée, il est soigneusement installé dans une caisse ayant au préalable reçu un numéro. Celui-ci est reporté dans un tableau à côté des numéros d’inventaire et des anciennes positions de chaque individu se trouvant dans la caisse. Les intitulés des
anciennes rangées sont également reportés sous le numéro de caisse. Du côté du pôle muséal, un document permet d’associer chaque nouvelle rangée à un ou plusieurs anciens emplacements. Ce jonglage numérique permet de garder de l’ordre et de ne pas perdre un spécimen en route. C’est ce que l’on appelle l’adressage.
Collection d’oiseaux en cours de déménagement.
Le carnet de souche, un outil précieux.
Vérification des conditions climatiques au pôle muséal.
Ce nouveau voyage vient désormais s’inscrire dans l’histoire de chaque spécimen déplacé. Au même titre que sa date d’acquisition, sa provenance, son âge, le nom de son espèce ou de sa famille, cette information est documentée. Le but est d’assurer un suivi et d’en garder trace pour les décennies à venir. Chaque étape (mise en caisse, congélation, transport) est donc soigneusement inscrite dans un document papier appelé carnet de souche dont chaque page est ensuite scannée et dont les informations sont retranscrites dans une version numérique au fur et à mesure du déménagement. Ces différentes sauvegardes permettent une très grande traçabilité des collections et sont facilement accessibles pour toute l’équipe. Cela permet également de rendre visible l’avancée du déménagement, même auprès de celleux qui n’y participent pas. Celia Bueno, conservatrice et adjointe de direction mais également coordinatrice du déménagement peut ainsi se faire une joie de partager avec les collaborateurs du Muséum, lors des séances hebdomadaires, l'avancée du chantier et le nombre d’unités déménagées. Mais attention aux chiffres ! Certaines petites caisses, appelées rako, peuvent contenir plusieurs dizaines d’oiseaux lorsqu’ils sont de petites tailles et/ou en peaux (c’est à dire non montés sur socles). À l’inverse, un carton de taille imposante ne renferme parfois qu’un seul mammifère de taille plus imposante. Une chose est sûre, le volume du congélateur lui reste le même et ne désemplit pas depuis de nombreux mois.
Singe prêt à être congelé.
L’ensemble de ce processus est donc un travail titanesque. Pour relever le challenge, le muséum peut compter sur l’aide de nombreuses personnes : étudiant.e.s, stagiaires,
civilistes, conservateur.ice.s mais aussi l'association des amis du musée dont plusieurs membres se proposent comme bénévoles dans le cadre de ce projet. Grâce à toutes ces petites mains, fourmis 2.0, la vie du Muséum peut continuer en parallèle, proposant des expositions temporaires, permanentes, itinérantes, des actions culturelles et bien d’autres surprises !
Je remercie tou.te.s les collaborateur.ice.s du Muséum d’histoire naturelle de Neuchâtel pour leur accueil chaleureux et mon intégration, en tant que stagiaire, à ce projet de déménagement.
SP
Crédit photos : Sasha Pascual
Pour plus d’informations sur le muséum : https://museum-neuchatel.ch/
À propos des dioramas (re)lisez l’article de l’Art de Muser : https://formation-exposition-musee.fr/l-art-de-muser/2271-la-vraie-fausse-nature-des-dioramas
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