Quand on entre dans une cathédrale, une grande porte nous laisse voir un espace tout aussi grand, tant par sa superficie que par sa hauteur. Certains y verront une architecture remarquable, et un refuge de l’histoire des territoires occidentaux, d’autres y verront un lieu de culte où l’on peut encore sentir l’odeur de l’encens de la dernière messe. Cette dualité de visiteur se réunit souvent sur un même point : les guides conférenciers. 

La loi 1905 intègre 87 cathédrales françaises, non désacralisées, comme monuments nationaux. Dans ce cadre, ce bâtiment fait partie du patrimoine. Il faut donc le protéger et mettre des dispositifs permettant un accès à sa mémoire par une médiation. L’Etat est donc propriétaire avec des missions assumées par les villes pour mettre en lumière ce patrimoine, et d’autres assumées par l’Église affectataire pour y montrer une autre lumière. Dans ce cadre, l’Etat est responsable de la restauration et peut se permettre de rendre payant certaines parties de la cathédrale comme les tours ou l’accès aux trésors.

C’est là que se pose la problématique : où s’arrête le culte et où commence la culture dans ces lieux qui ont été construits à des faims cultuelles ? La plupart des cathédrales allouent des espaces où le silence est maitre afin de laisser les croyants prier. D’autres interdisent les visites durant les cérémonies. Le choix des dispositifs de médiations et d’expositions est tout aussi intéressants, souvent sous forme d’audioguide pour garder un silence. L’Église aussi peut parfois faire ses propres médiations, mais celle-ci ne sont que très rarement laïque, et peuvent poser questions sur la médiation culturelle du lieu.

BLANC 2025 SacréPatrimoine IMG1

Panneau silence à l’arrière du cœur de la Cathédrale d’Amiens 09/10/2025 ©Alys Blanc

Le défi réside dans la gestion pratique de l’espace. La manière dont est définie l’expérience du visiteur culturel et le respect de l’affectation cultuelle. En France, l’État, propriétaire, est contraint de garantir la gratuité de la nef. À Amiens, la gestion de l’espace est fluide entre les visiteurs culturels et cultuels. La nef reste dans un silence religieux, laissant par moments les groupes de visiteurs en quête de petites histoires écouter le guide parlant tout bas. D’autres visiteurs culturels optent pour l’audioguide transmis par l’office de tourisme pour la somme de 6 euros. Le visiteur se retrouve dans une bulle sonore, arpentant le monument sans faire de bruit, participant à cette ambiance de recueillement flottant dans l’air.

Notre-Dame de Paris, quant à elle, se voit depuis toujours assaillie par les touristes, d’autant plus après sa restauration. Notre-Dame de Paris reçoit 12 millions de visiteurs, soit 17 fois plus que la cathédrale d’Amiens. Face au flux de visiteurs, la logique du spectacle s’est imposée : la réservation quasi-obligatoire pour ne pas faire la queue pendant des heures. Même gratuite, celle-ci transpose le lieu de culte dans les codes du grand monument-spectacle. Elle brise l’idée de l’accès spontané pour le culte. Sa splendeur rétablie, les fidèles sont ravis de redécouvrir ce patrimoine, au même titre que les visiteurs culturels. Dans cette chorégraphie de foules chez la grande Dame est proposée sous chaque chapelle, un panneau explicatif des rénovations et des espaces de prière aux pompiers l’ayant sauvée. Mêlant ainsi mémoire patrimoniale et recueillement religieux.

Cet accès gratuit à la Nef en France, n’est pas commune à tous pays. En Espagne, le modèle de laïcité coopérative donne plus de liberté à l’Église. Cela se traduit par une collaboration active de l’État avec les différentes confessions pour organiser leur place dans la société. Le contraste est immédiat et palpable à la cathédrale de Santiago de Bilbao. Ici, dès l’entrée, dix euros sont réclamés afin de visiter avec l’audioguide. L’Église, jouissant d’une plus grande autonomie financière, utilise l’outil culturel (la visite) comme source de revenus directs, là où en France, seuls les trésors et les tours peuvent être monétisés pour la restauration des lieux par l’État. La ligne de partage entre culturel et cultuel, n’est pas spatiale mais temporelle. L’unique garantie de gratuité est l’acte cultuel : la messe. Une fois l’office terminé, l’édifice bascule de nouveau dans sa fonction de monument patrimonial payant.

BLANC 2025 SacréPatrimoine IMG2

Photo de la Cathédrale d’Amiens avec deux visites guidées dont une contenant des sœurs 09/10/2025 © A.B.

Le temps des cathédrales est celui d’une cohabitation obligatoire entre le sacré et le patrimoine. La question n’est pas seulement la gratuité ou la monétisation, mais la gestion des nouvelles frontières au sein de l’édifice, qu’elles soient spatiales, sonores ou temporelles. Ces frontières sont fondamentalement poreuses. Le lieu n’est pas divisé ; il est superposé. L’image des sœurs allemandes croisées lors d’une visite guidée à Amiens est l’exemple parfait de cette porosité. Elles écoutent un guide culturel pour un acte de mémoire profondément cultuel. 

 

Blanc Alys

Pour aller plus loin :
https://formation-exposition-musee.fr/l-art-de-muser/2116-quand-l-art-contemporain-s-invite-dans-les-eglises-entre-opportunites-et-polemiques

 

#Cathédrale#Culte#Patrimoine

Retour