Thiepval est une étape essentielle du circuit du souvenir des batailles de la Somme. En 1932, le Mémorial britannique est érigé sur les champs de bataille. Les noms des plus de 70 000 disparus britanniques et sud-africains y sont gravés. Un centre d’interprétation ouvre ses portes en 2004. Sous l’impulsion d’Hervé François, directeur de l’Historial de Péronne, le musée de Thiepval est inauguré en juin 2016 à l’occasion du centenaire. Le musée aborde l’impact de la guerre sur la Somme, à la fois sur le front mais aussi à l’arrière. Situé sur un lieu porteur d’une charge symbolique forte, le musée de Thiepval propose des choix originaux en termes de muséographie, de médiation et de contenu.

« Les batailles de la Somme ne se résument pas à de simples lignes sur une carte »

Le choix d’une approche globale des batailles de la Somme, qui ne se concentre pas uniquement sur le front, est intéressant. L’ensemble des sites du circuit du souvenir évoque essentiellement les stratégies militaires, les faits d’arme, les actes héroïques ou encore les pertes humaines. Les Britanniques sont très représentés alors que les Allemands très peu. A Thiepval, l’idée de parler de l’ensemble des belligérants s’inscrit dans la ligne de l’Historial de Péronne. Les récits des Allemands, des Français et des Britanniques se croisent dans les salles consacrées au deuil et à l’invention des « as » de l’aviation. Parler des hommes avant de parler des soldats, des vainqueurs et des vaincus, est nécessaire. En effet, aussi absurde que cela puisse paraître, les tabous concernant la place accordée aux Allemands dans les lieux de mémoire sont encore présents dans certains esprits.

Dans la continuité, le musée aborde dans une salle très émouvante la question du deuil. Familles et civils sont présentés comme témoins et acteurs de la guerre, ce qui est rarement le cas sur les autres sites du circuit du souvenir. Le deuil permet de croiser plusieurs points de vue, celui des disparus, des familles et des autorités. Les objets deviennent reliques et dévoilent, derrière chaque nom, une histoire collective.

© M. D.

« L’effort consenti par les sociétés dans la guerre continue d’interroger »

La fresque de Joe Sacco pour illustrer l’offensive du 1er juillet 1916 est un choix muséographique plus que judicieux. L’immersion est totale dans cette journée symbolique, la plus meurtrière pour l’armée britannique. Aux murs, l’immense fresque est reproduite sur des parois en verre. Au centre de la salle, dans des fosses, des objets retrouvés à Thiepval ou issus des collections de l’Historial de Péronne sont exposés comme témoins matériels des scènes représentées sur la fresque. C’est véritablement un dialogue qui s’installe entre les objets et les images, entre l’interprétation actuelle de l’offensive à travers l’œuvre d’un contemporain et les objets retrouvés, témoins du passé. Le dialogue entre passé et présent est omniprésent et ouvre plusieurs portes au champ de réflexion.

© M. D.

La fresque de Joe Sacco est aussi un outil médiation. Sous chaque scène, une explication est inscrite sur un panneau. Chacun peut lire, interpréter les images seules ou en lien avec les informations ainsi données. La fresque permet une véritable démocratisation du contenu scientifique et évite ainsi toute reconstitution douteuse avec mannequins en cire et autres inventions inesthétiques.

« Parfois quand il y a trop de textes, trop d’images, trop d’informations données tout de suite, finalement ça devient étouffant et on ne retient plus rien. » Emilie Simon, chargée de muséographie

Le visuel est un élément essentiel de la médiation du musée. Ecrans diffusant images et films d’archives, vidéos montrant les lignes de front ou reconstitutions 3D sont présents dans presque toutes les étapes du parcours. Un dispositif a particulièrement attiré mon intention. Dans la salle consacrée au deuil, une installation interactive projette au sol les photos et l’histoire de dizaines de soldats. Le visiteur est invité à prendre une planche blanche et à la placer sous le projecteur pour suivre les parcours qui défilent des missing. Le dispositif laisse une grande liberté de choix et d’action. Ainsi l’ensemble de l’espace est utilisé sans surcharger les parois murales. Mais dans la pratique, le visiteur utilise peu ce dispositif car les planches et le schéma explicatif, placés dans un recoin, manquent de visibilité.

© M. D.

Le musée a délibérément choisi de ne pas utiliser de dispositifs de médiation tactiles. Le parcours fonctionne très bien sans car la visite est autonome. Il y a énormément de visuels, de vidéos pour démocratiser et développer le propos.

Le musée de Thiepval s’ancre dans les problématiques du musée du XXIème siècle. C’est un musée engagé à travers un parti pris universel, une volonté de confronter les points de vue de l’ensemble des belligérants et de ne pas se limiter à une vision manichéenne de la guerre. Mais le musée pourrait aller encore plus loin et interroger davantage l’engagement des femmes dans les batailles de la Somme. Elles sont présentes en tant que mères, sœurs, filles d’hommes disparus au front. Elles sont présentes en tant que victimes de la guerre dans la cartographie consacrée aux civils. Les femmes ne sont pas ici considérées comme actrices mais comme spectatrices de la guerre. Et pourtant interroger leur engagement, en tant qu’infirmière, en tant qu’ouvrière, serait enfin leur reconnaître une participation active dans les batailles de la Somme. Cette participation, vecteur d’émancipation, est souvent effacée par une approche essentiellement tournée vers les soldats, vers les hommes, vers la ligne de front.

M. D.

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