Paris met à l’honneur, cet automne 2015, les plaisirs raffinés du siècle des Lumières en exposant ses plus illustres artistes comme Fragonard, Louise Elisabeth Vigée-Lebrun et ses plaisirs matériels les plus exquis à travers le biscuit tendre de Sèvres et les boissons exotiques.

Scène pastorale, Höchst XVIIIe siècle © Rmn-GP

 

Scene+pastoraleCe condensé de saveurs me conduit, en visitant ces expositions, à m’interroger : Pourquoi en tant qu’étudiante en muséologie puis-je sentir ce siècle comme proche de mes goûts et préoccupations professionnelles en matière d’exposition ?

Cette affinité se situe-t-elle du côté de tout ce qu’est et ce qui fait l’art au 18e : le raffinement, la délicatesse, le plaisir de vivre, le développement du jugement esthétique, l’apparition des salons, comme premières formes d’exposition et que sais-je encore ? C’est l’époque où l’individu prend de plus en plus de place au sein de la société. La vie devient une xercice de représentation, pour ne pas dire une exposition maitrisée de sa personne. A mon sens, l’idée que nous nous faisons de ce siècle a un lien à avoir avec l’univers expographique actuel ! Voyons les différents mediums qui à l’époque ont facilité cet exercice de représentation de soi.

 

A l’origine… le latin : Expono, is, ere, posui, positum !

Au 1ersens donné du terme, « exponere » signifie expliquer, présenter. Si on ledécompose, le « ex » renvoie à l’idée d’extériorité. « Ponere » tout seul (en dehors que c’est un composé de possum !) veut tout simplement dire poser. « Exponere » est donc l'action de mettre, situer, poser, installer en direction de l'extérieur. Cette idée s’inscrit donc dans une logique de monstration. Elle peut concerner les objets mais aussi les personnes. Comme verbe pronominal réfléchi, s’exposer exprime une action que le sujet fait sur lui-même…intéressant pour notre démonstration !

 

 « S’exposer » c’est « mettre en péril »

Exposer ses propres idées sur un sujet tabou peut s’avérer dangereux…Pour l’exposition « Fragonard Amoureux, galant et libertin» au Musée du Luxembourg, le discours de l’exposition portait sur le traitement pictural des comportements amoureux, allant de la galanterie à l’érotisme. La section 7 du parcours montre au public comment le peintre a réussi à promouvoir dans son art une imagerie dite « licencieuse ». Les tableaux que nous pouvons voir actuellement au musée, résultaient à l’origine de commandes très privées, pour décorer les appartements de riches aristocrates. Ces initiatives restaient secrètes par peur du scandale.

Autre exemple : dans une partie de l’exposition « Louise Elisabeth Vigée-Lebrun » au Grand Palais, un tableau de 1783 représente la reine Marie Antoinette en robe de Gaulle, robe de gaze blanche légère qui était considérée comme indécente à l’époque. On sait que ce portrait de la reine a fait scandale au Louvre et que le tableau a aussitôt été retiré. Ainsi un tableau exposé au Salon peut mettre à mal la réputation de son peintre s’il a enfreint les codes établis.

Marie Antoinette en robe de mousseline dite en gaulle.1783Kronberg, © Rmn-Grand Palais

 

Une définition toujours d'actualité au XXIe ! 

« Exposer, c'estdéranger le visiteur dans son confort intellectuel ».

                                                            Jacques Hainard

 

 Le portrait : exposer au sens moderne de la « théâtralisation ».

Point d’orgue de cette volonté de représentation de soi : l’art du portrait. Avoir son portrait permet de revendiquer sa position sociale. Louise Elisabeth Vigée Lebrun est une des plus illustres portraitistes de son temps qui s’attache à saisir la ressemblance de ses modèles tout en l’idéalisant. Ces portraits sont destinés à être diffusés. Ce sont des outils politiques.

Le portrait ne s’arrête pas qu’à la peinture ! L’exposition à la Manufacture de Sèvres « La sculpture de Louis XV à la Révolution » donne à voir les bustes des grandes personnalités en biscuit de porcelaine tendre. L’épisode révolutionnaire eut à cœur de mettre en valeur les défenseurs de la liberté et la production de médaillons sculptés permit de diffuser plus facilement les idées de la Révolution.

 

S’exposer par des objets, signes extérieurs de richesse

Vouloir exposer son goût pour le « beau » relève d’une mise en scène de son propre mode de vie, souvent souhaité comme modèle. C’est ce qu’illustre l’exposition « Thé, café ou chocolat » au musée Cognacq-Jay qui s’intéresse à un nouvel art de la sociabilité, celui des boissons exotiques. Des tableaux de François Boucher ou de Jean Siméon Chardin nous permettent de comprendre que ces boissons servies dans un apparat de luxe participaient activement à l’exercice de représentation de soi.

  

© Musée Carnavalet/Roger-Viollet 

                                     

Exposer, c’est raconter une histoire, expliquer, faire connaitre…

Cette définition se rapproche plus de celle que l’on connait, dans son acceptation muséale actuelle. L’exposition est un récit espace-temps que l’on a matérialisé et que l’on offre à la vue et à la critique du public. Le discours choisi pour l’exposition sur Elisabeth Vigée-Lebrun est en cela très évocateur puisqu’il s’agit d’une rétrospective visant à réunir les plus belles productions picturales de l’artiste. Cette exposition est organisée comme un livre où le récit est ponctué par divers chapitres. On nous raconte la fabuleuse destinée de cette femme peintre, de ses débuts de formation à sa consécration auprès de la famille royale à Versailles et des cours européennes.

Le pan de mur "1789" divisant l'exposition en deux © Sandra pain

 

Le cheminement séquentiel est marqué au milieu par la rupture symbolique, à la fois scénographique et historique de 1789. Cette date marque ici la frontière psychique et mentale, le passage vers un autre monde, comme le IIèmetome de sa vie.

 

Du latin à aujourd’hui, quels sens pour ce geste d’exposer ?

Que de définitions juxtaposées et de significations multiples autour de la notion d’exposition ! Prendre les différentes visions que l’on a de l’exposition du 18pour les confronter et les confondre avec celles du 21e… est une démarcheque j’ai voulu vous proposer pour rendre à l’exposition sa polysémie, elle qui est tout à la fois monstration, mise en scène des objets, théâtralisation de soi, mise en péril, histoire, déduction de faits…et que sais-je encore ? Et vous, quelle est votre définition personnelle de l’exposition ?

A mes yeux, au-delà de tous les aspects techniques qu’elle peut revêtir aujourd’hui, l’exposition est la mise en forme et en action d’une pensée à transmettre. Elle est ce qui nous renvoie à notre humanité puisqu’elle nous permet de réfléchir sur des sujets qui nous tiennent à cœur.

Sandra Pain

Pour en savoir plus, le site de l'exposition de la portraitiste au RMN-GP :

http://www.grandpalais.fr/fr/article/elisabeth-louise-vigee-le-brun-toute-lexpo

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