L’art contemporain, « ce n’est pas (…) la fin de l’art... : c’est la fin de son régime objet. » Yves Michaud, L’Art à l’état gazeux

Yves Michaud, philosophe et professeur à l’université de Rouen, soulève un paradoxe assigné à l’art contemporain. Plus il y a de beauté, moins il y a d’art.

Jesús Rafael Soto, Pénétrable BBL bleu, V8, 1999/2007
Métal laqué et nylon bleu- Collection Avila
Exposé dans le jardin du Musée Matisse au Cateau Cambrésis.
Crédits : Fournier Katia

 

Yves Michaud, philosophe et professeur à l’université de Rouen, soulève un paradoxe assigné à l’art contemporain. Plus il y a de beauté, moins il y a d’art. En effet,l’artiste répand et colore tout, il métamorphose l’art en gaz, en éther esthétique qui s’insinue en toute chose et en tout lieu. Le philosophe propose une explication à ce paradoxe dans son ouvrage L’Art à l’état gazeux, essai sur le triomphe de l’esthétique, aux éditions Stock, 2003, en abordant l’art contemporain sous les approches conceptuelle, historique et sociologique.

L’auteur ne prend pas partie, il se positionne en tant que témoin rapporteur d’un mouvement artistique difficilement définissable. Pour commencer il met l’accent sur les changements techniques de conception des œuvres d’art pour ensuite comparer les différents modes de réception de celles-ci par les publics. Pour illustrer cela il évoque la photographie qui s’est substituée à la peinture, et parallèlement,il explique que nous sommes passés de la contemplation du tableau de maître au regard furtif jeté sur la prise de vue. L’idée d’effacement de l’objet d’art est constante au fil de son ouvrage.

L’installation et la performance sont les nouvelles formes d’art et leurs finalités ne résident que dans l’expérience et l’effet produit sur le regardeur. Cependant, Yves Michaux nous décrit un art fermé sur lui-même, qui ne prend pas en compte les publics. C’est un art qui a ses privilégiés, ses initiés, d’où cette critique ironique rapportée concernant la question de savoir quand il y a œuvre d’art et la nécessité de le signaler : « Attention Art ». Il est impératif de s’imprégner de la philosophie du monde de l’art, d’apprendre son langage spécifique, et d’opérer un changement de posture psychologique, pour saisir l’art contemporain. Pourtant, au premier abord,  ces œuvres semblent chercher à rendre hermétiques des expériences banales. L’art contemporain relève de l’art procédural, amorcé par Duchamp et ses « Ready-made ». Pour comprendre cette métamorphose de l’art, Yves Michaud  met en perspective l’art contemporain et l’art moderne de la seconde moitié du XXème siècle.

Ce dernier est l’apogée d’une « richesse formelle à nulle autre pareille », les artistes étaient engagés politiquement, la société était l’essence de leur art, mais dans les années 70, une leçon dadaïste refait surface : l’art se « dé-définit » et se « dés-esthétise »d’après les propos de Harold Rosenberg. A partir de cette période les avis sur l’art contemporain divergent. Certains le perçoivent comme une libération,d’autres comme l’avènement du règne du grand n’importe quoi. L’art contemporain ne défend plus de causes sérieuses, il est politiquement neutre, et se révèle être de l’ordre de la communication et de la mode, se confondant parfois avec la publicité. On assiste au triomphe de l’esthétisme porté par le multiculturalisme, où le musée devient un lieu de culture de loisir et de masse en dépit de la complexité de la compréhension des œuvres.

Face aux modifications du monde de l’art, Yves Michaud s’interroge sur les répercutions sociologiques de l’art contemporain. L’art est conscient de lui-même, il tend à embellir le monde, l’esthétique est l’œuvre d’une appropriation sociale. Les publics ont besoin d’expériences qui engendreront un bien-être nécessaire dans notre monde actuel. Ils recherchent la tranquillité et la fuite de celui-ci. Mais les publics sont également, et paradoxalement, en attente de stimulations rythmées, ce que la mode leur rend parfaitement. La mode lui offre un renouveau perpétuel. Tout est à prendre du moment qu’il y aura expérience.Cette multiplicité de l’art pose cependant le problème de sa perpétuation. Le problème reste ouvert, nous archivons tout ce que nous pouvons sans pouvoir établir de hiérarchie raisonnée dans la production contemporaine. Le monde a changé est par conséquent, les modes de perception également.L’individualisation de masse a entraîné un mode de perception « sans mémoire » qu’Yves Michaud illustre par le zapping télévisuel, qui ne facilite pas la prise de position dans le choix des œuvres à transmettre aux populations futures.

Il ne reste de l’art, en cette ère du triomphe de l’esthétisme, que l’expérience et l’occasion de rencontres. Ce que le tourisme accélère et diffuse.  « Du style à l’ornement et de l’ornement à la parure. Un pas de plus et il ne reste qu’un parfum, un gaz. Ce gaz dit à travers la mode l’identité de l’époque. »C’est avec ces propos tout à fait pertinents que l’auteur conclut que l’art contemporain aussi obscur qu’il puisse être, est la recherche de l’identité d’un monde en mal de communication. D’où ce succès de la mode, identité en perpétuelle mutation, qui est la parure d’une époque mouvante et qui permet aux populations noyées dans les flux d’informations et de nouveautés sans cesse renouvelées, de s’accrocher à des signes qui les identifient.   

Katia Fournier

Yves Michaud, L’Art à l’état gazeux, éditions Hachette Littérature, 12 mai 2004