Présenter une exposition temporaire sur les piercings ? Défi relevé par le Musée de l’Homme ! L’exposition a pris place sur le Balcon des sciences entre le 13 mars 2019 et le 9 mars 2020, l’occasion d’aborder l’histoire de ces pratiques, ainsi que ses significations dans les cultures du monde entier. 

Avant toute chose, rappelons que le mot « piercing » désigne à la fois la pratique consistant à percer la peau du corps pour y fixer un objet mais aussi le nom des bijoux. Popularisé dans les années 70 et plutôt associé à la contreculture, le piercing s’inscrit aujourd’hui dans les usages courants. Ses origines remontent cependant à la nuit des temps, ce qu’aborde la première partie de l’exposition.  

Préhistoire

Existant depuis la Préhistoire, le piercing est initialement conçu à partir d’os, de bois ou encore de métal. Il sert à la fois à orner un corps mais aussi à affirmer un statut social ou une appartenance à un groupe. On en voit particulièrement au niveau des oreilles, du nez et de la bouche puisqu’il s’agit de zones plus directement visibles et qui permettent une meilleure cicatrisation – tout ce qui peut éviter de blesser ou de gêner son porteur. Les fouilles archéologiques ont permis de mettre à jour de nombreux piercings retrouvés à proximité de dépouilles, mais les chercheurs restent cependant incertains quant à l’association avec des tatouages ou autres modifications corporelles au cours de la Préhistoire. Ils sont cependant certains que ces pratiques ont suivi les migrations humaines, ce qui explique qu’on en trouve dans toutes les contrées du monde.

 

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Piercing – L’exposition : espace Préhistoire © Camille Quernée

 

Traditions

Le piercing sous toutes ses formes peut s’apparenter à des coutumes ou à des traditions mais aussi bien s’apparenter au conformisme social. Les hommes de la tribu des Kayapo d’Amérique du Sud ont par exemple pour tradition de porter un labret (un trou au niveau de la lèvre inférieure), qui marque la supériorité de parole des hommes. Ces bijoux permettent d’affirmer un statut social au sein d’une société, ce qui n’est pas forcément le cas  en France. En effet, les trous aux oreilles des jeunes filles ou femmes y sont un signe de féminité. Les formes, les couleurs et les matériaux utilisés sont beaucoup plus variés et les boucles d’oreilles confèrent à priori plus de fantaisie que d’assise au sein d’une collectivité ou d’un groupe social. Une vidéo de témoignages étaie la relation entre les femmes et les bijoux d’oreilles, elles témoignent avec plus ou moins de fierté, du jour où elles ont pu se les faire percer.

 

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Piercing – L’exposition : espace Traditions © Camille Quernée

 

Renaissance

Le regain d’intérêt pour le piercing a lieu dans les années 70, en Californie. Les bijoux n’ornent plus seulement le visage mais aussi la langue ou les parties intimes. L’utilisation de l’acier chirurgical et les antiseptiques les rendent plus facilement réalisables. Ils apparaissent surtout dans les milieux liés à la contre-culture et à l’esthétisme, s’ajoute une sorte de fétichisation. La création de la première boutique spécialisée en 1978, The Gauntlet marque un tournant dans l’histoire du genre. Le rendre accessible à tous  dans des conditions hygiéniques favorables le rend plus sûr et socialement plus acceptable. Les lois exigent désormais que les pierceurs aient en leur possession des diplômes certifiant l’obtention d’une formation aux conditions d’hygiène et de salubrité.

 

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Piercing – L’exposition : détail d'un vitrine de l'espace Renaissance © Camille Quernée

 

Explosion

Sa diffusion a largement été permise au travers de son appropriation par certains mouvements culturels et musicaux comme le Punk. Marquant alors la révolte et la souffrance, le piercing se présente comme le symbole d’une génération antisystème. Sa place n’est cependant pas figée et évolue encore actuellement, il est rendu plus visible et conventionnel par le biais d’Internet et des réseaux sociaux ou encore par de grands noms de la mode. Des sites spécialisés comme BME.com (Body Modification Enzine) ont aussi permis la diffusion d’images des amateurs.

 

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Piercing – L’exposition : détail d'un vitrine de l'espace Explosion © Camille Quernée

 

Analyse de l'exposition

Le balcon des sciences est un espace gratuit pour les visiteurs du Musée de l’Homme, il s’agit d’une mezzanine dont le centre offre une vue sur un espace de convivialité. L’espace d’exposition exploite les quatre côtés latéraux et est percé de deux arches : l’une d’entre elle est la sortie de l’exposition temporaire plus conséquente et la seconde permet d’entrer et sortir de l’espace. Une des grandes difficultés du balcon des sciences est donc de servir à la fois d’espace muséographique et de zone de circulation. Le parti pris du musée a été de concentrer les informations scientifiques (comme les textes de sections, les cartels) ainsi que les expôts, le long des balustrades donnant sur l’étage inférieur. Cette solution technique permet à la fois de créer des mises à distance supplémentaires sans pour autant empiéter sur les couloirs permettant aux visiteurs de se déplacer. 

Les parties de l’exposition sont clairement identifiées et identifiables, l’utilisation de couleurs pop sous les vitrines et les panneaux suspendus permet de définir visuellement les univers. Si les formes sont variées, on note une unité graphique ainsi qu’une personnalisation en fonction des thématiques abordées. Les assises qui ponctuent le parcours permettent de visionner les contenus vidéos de l’exposition et d’impliquer le corps. Les éléments visuels affichés sur les murs créent une connexion entre le lieu et l’exposition, de l’inscrire à l’intérieur d’un espace. Ils participent à l’ambiance et indiquent au visiteur sortant de l’exposition précédente que l’univers dans lequel il pénètre n’est pas le même que celui qu’il quitte, et qu’il est libre de s’y laisser absorber. 

 Les vitrines colorées présentent une variété d’expôts, certains sont anciens et issus de fouilles archéologiques alors que d’autres sont disponibles dans des boutiques actuelles. Cette approche anthropologique ancre le sujet dans un contexte historique et social fort, où le piercing, mais aussi les modifications corporelles ne sont pas des phénomènes purement contemporains. Les pratiques et les perceptions ont certes évolué depuis 45 000 ans, mais l’humain s’est toujours exprimé à travers son corps, qu’il s’agisse d’affirmer sa place en tant qu’individu, ou sa pensée artistique. 

Le choix du sujet est surprenant et peut provoquer une gêne chez certains visiteurs. Il n’est pas anodin de se faire percer la peau, encore moins pour y placer un ornement. Certains soulèvent la question de l’hygiène corporelle ou considèrent cela comme des mutilations volontaires. D’autres se sentent fiers de pouvoir se parer de nouveaux attributs et d’affirmer leur identité à travers ces bijoux. De manière plus extrême, il existe un terme pour désigner les amateurs de modifications corporelles : la stigmatophilie. Celle-ci s’apparente plutôt au fétichisme et à priori aux pratiques liées au milieu BDSM qui sont mentionnées dans l’exposition. Percer son corps est aussi une manière de découvrir de nouvelles sensations et d’y ouvrir son esprit. Ces expérimentations ne sont pas novatrices et s’inspirent de pratiques amérindiennes, où la suspension permet aux jeunes hommes de devenir guerriers. 

Le Musée de l’Homme prend le parti d’évoquer le piercing sous l’angle de l’anthropologie historique. Il se s’agit pas d’en parler comme de pratiques isolées, mais plutôt de les ancrer dans une réalité rendue tangible par l’évocation d’exemples variés, à la fois dans le temps et l’espace. Croiser les disciplines pour évoquer un élément du quotidien fait le lien entre les cultures du passé et les cultures actuelles. Il ne s’agit pas de dénoncer un phénomène de mode, mais plutôt de démontrer son historicité. Il est toutefois surprenant de voir exposés côte à côte un morceau d’os ayant servi de bijoux il à 45 000 ans et des piercings industriels disponibles dans les boutiques. Ces derniers ne sont alors plus perçus comme de simples éléments décoratifs, ils étayent le propos de l’exposition et acquièrent une valeur d’objet de collection. Le Musée de l’Homme n’est certes pas le premier à muséaliser des objets du quotidien contemporain, les expérimentations se font plus régulières depuis les dernières décennies, notamment au Musée d’Ethnographie de Neuchâtel. 

L’Europe n’est pas éludée, comme c’est usuel pour bien des musées et sujets d’ethnographie. Intégrer la culture et les pratiques locales à une exposition permet de traiter plus globalement, de ne pas montrer du doigt ce que font les autres mais d’inscrire l’être humain dans une démarche d’imitation collective. Il s’agit de montrer l’espèce humaine dans sa globalité et pas uniquement de parler des cultures étrangères, pouvant être considérées comme indigènes. 

L’exposition Piercing est une réussite, notamment par la maitrise d’un espace d’exposition complexe mais aussi pour avoir abordé un sujet qui, malgré l’évolution des mœurs est encore marginalisé. La filiation forte entre le piercing et certaines pratiques marginales liées au milieu gay et BDSM n’est pas abordée de manière péjorative, il s’agit d’une page de l’Histoire à valeur égale avec les autres. Un message fort de l’exposition est qu’il faut prendre en considération ces ornements, symboles d’une infinité de valeurs et d’esthétisme.

 

Camille Quernée

 

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