VIGNETTE : Station « La salle sans fond – Une Chapelle Sixtine à l’envers » - Photo E. Brousse

 

Durant l’été 2021, pour l’Open Museum du Palais des Beaux-arts de Lille, le dessinateur et bédéiste François Boucq investit l’espace muséal avec son personnage Jérôme Moucherot. A l’instar de certains récits sur version papier, au musée, le protagoniste évolue dans les méandres de la jungle urbaine. Sauvagement, le parcours pensé par le dessinateur fait irruption dans la collection permanente du Palais des Beaux-Arts. Quinze stations ont été pensées par Boucq à commencer par un tunnel hypnotique dans lequel les visiteurs s’immergent dans le trait du créateur, un motif léopard en noir et blanc duquel naissent divers animaux. A sa sortie quelques mètres plus loin, les tâches félines semblent imprégner le regard du visiteur et tournoient encore sur les statues de marbres. Que se passe-t-il ? Les collections sont-elles devenues indomptables ? Non… il s’agit d’une projection (mapping) de motifs animaliers en noir et blanc sur les blanches statues. Le safari muséal peut commencer. 

 

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IMAGE 1 Station « Une mise en route déroutante – Entrez dans le vortex de François Boucq » - Photo E. Brousse

 

Déconcerté par cette entrée en matière, le visiteur déambule à la recherche des farces du bédéiste. Dispatchées dans tout l’espace, soit les interventions bestiales sont des outils pour mieux comprendre les œuvres d’art ou leur composition, soit elles jouent un discours méta-muséographique en moquant l’attitude des visiteurs eux-mêmes.

Installations artistiques ou dispositifs muséaux ?

Dans une salle, le long du mur, un fil bleu est tendu devant les toiles, il se positionne au niveau de l’horizon sur chacune d’entre elles et met en valeur cette ligne cruciale qui marque systématiquement toutes représentations de paysages. Entre installation artistique et dispositif muséal, ce fil permet de saisir la composition de la catégorie picturale du paysage. Plus loin, une autre station permet d’appréhender via une installation l’illusion d’optique qu’est l’anamorphose. 

 

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IMAGE 2 Station « De l’anamorphose et au-delà – Une question de point de vue » - Photo E. Brousse

 

Ces interventions décalées de Boucq seraient presque des dispositifs de médiation destinés à la compréhension de techniques picturales. Par ailleurs, sur un mode plus ludique, François Boucq exploite la notion de « hors-cadre ». Au pied de deux natures mortes, il fait jaillir une abondance de fruits et légumes gigantesques qui s’amoncèlent sur le sol et ravissent le nez du public de leurs senteurs grâce à un dispositif olfactif. Autour de toiles abstraites, hors du cadre, Boucq brise également les frontières entre les œuvres : il prolonge sur le mur la composition de cinq tableaux différents. Il fait se rejoindre les motifs qui finissent par former une seule et même grande composition. Il est l’artiste qui lie les artistes à travers le temps et l’espace.

 

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IMAGE 3 Station « Une bande dessinée de tableaux – Sortir du cadre » - Photos E. Brousse

 

Singer le visiteur

Ce jeu sur la composition des toiles se poursuit dans une salle réservée à la présentation de portraits. Ces derniers, selon l’illustrateur, paraissent souvent regarder le visiteur. L’effet est décuplé car les tableaux sont disposés à touche-touche (comme dans la salle des paysages), c’est donc une myriade d’yeux qui regardent le visiteur avec insistance. Au centre de l’espace, une installation tournant sur elle-même accentue davantage ce sentiment de voyeurisme puisqu’elle présente de grands cadres remplis de miroirs dans lesquels le visiteur se voit entouré des portraits. Il se photographie d’ailleurs systématiquement, dans les miroirs et joue avec ce décor. Par ce dispositif, le narcissisme du public et son attitude au musée sont gentiment moqués. Depuis deux enceintes placées aux angles de la pièce, des chuchotements (« on dirait qu’il me regarde ») se font entendre. Il s’agit de commentaires croustillants de visiteurs qui sont diffusés pour confronter le visiteur à son attitude face aux œuvres, le parodier. 

 

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IMAGE 4 Station « Se voir en peinture – Miroirs miroirs » - Photo E. Brousse 

 

Au rez-de-chaussée, un violent bris de verre retentit dans le couloir des porcelaines. Le public cherche activement l’incivilisé qui a brisé une œuvre dans une sacro-sainte institution muséale avant de s’apercevoir naïvement que c’est encore un piège de François Boucq. Il a pris le musée pour terrain de jeu, le visiteur se retrouve confronté à son propre comportement. Il devient éléphant dans un magasin de porcelaine mais aussi singe dans d’autres espaces.

 Collection de bulles

Avec cet Open-Museum, le Palais des Beaux-arts de Lille ouvre une seconde fois (la première avec ZEP lors de la troisième édition de l’Open Museum en 2016) les portes de son institution à la BD, encore trop peu présente dans les musées de beaux-arts. Le tour de passe-passe de François Boucq est une réussite ! Le bédéiste devient presque muséographe avec des dispositifs qui font réfléchir le visiteur et lui livrent des clés de compréhension sur les collections du musée. Ces dispositifs désacralisent aussi les œuvres. Pour en citer un dernier et non des moins marquants, une animation sous forme d’hologramme dans un cadre fait descendre Jésus de la Croix à partir de l’œuvre La Descente de Croix de Rubens. Un acteur vêtu comme le Christ sort virtuellement de l’œuvre pour venir s’assoir devant et interagir avec d’autres toiles. Ici, Boucq exploite encore une manière de « sortir du cadre ».

A l’occasion de cet évènement, François Boucq a fait une donation de près de 400 dessins au Palais des Beaux-Arts de Lille. Comme il le dit lui-même, c’est assez exceptionnel pour être noté car les exigences artistiques de la BD ne sont pas réellement reconnues.


Pour diverses expositions, la bande-dessinée a été la porte d’entrée vers les collections muséales. Par son graphisme et sa didactique, elle constitue un biais muséographique original. Pour citer un autre exemple hors-Beaux-Arts, l’exposition « Derrière les cases de la mission » (collaboration entre le Musée d’ethnographie de Neuchâtel et le Musée d’art et d’histoire de Lausanne) proposait une adaptation de la bande-dessinée Capitão de Stefano Boroni et Yann Karlen. Le public y poussait des reproductions de cases des planches agrandies et imprimées sur d’immenses rideaux pour accéder à une mise en scène. Derrière ces cases et par le biais d’objets ethnographiques, c’est l’entreprise missionnaire suisse au Mozambique qui était explicitée. 

E. Brousse

#bd #openmuseum #lille

 

Pour aller plus loin

Le site du PBA de Lille: https://pba.lille.fr/Agenda/OPEN-MUSEUM-FRANCOIS-BOUCQ 

Le site du Musée d’ethnographie de Neuchâtel : https://www.men.ch/fr/expositions/a-laffiche/derriere-les-cases-de-la-mission/#:~:text=d%C3%A9sinscrire%2C%20cliquez%20ici-,Derri%C3%A8re%20les%20cases%20de%20la%20mission,.2020%E2%80%9301.08.2021)&text=tels%20sont%20les%20ingr%C3%A9dients%20de,et%20d'histoire%20%C3%A0%20Lausanne. 

Un précédent open museum du PBA relaté dans le blog : http://www.formation-exposition-musee.fr/l-art-de-muser/1213-open-museum-passard-une-mission-reussie