Vignette :  Affiche de l’exposition Moriyama-Tomatsu à la Maison Européenne de la Photographie, Paris, 2021 © MEP
Introduction : Daido Moriyama, Untitletd, de la série « Platform », 1977, Tirage gélatino-argentique ©  Daido Moriyama Photo Foundation. Courtesy of Akio Nagasawa Gallery

 

La Maison Européenne de la Photographie inaugure l’exposition Moriyama-Tomatsu : Tokyo, ouverte jusqu’à fin octobre 2021. L’accrochage, qui rapproche deux grands maîtres de la photographie japonaise de l’après-guerre, avait été préparé par trois master classes de Simon Baker proposées en ligne par le musée pour revenir sur les pratiques photographiques propres aux artistes japonais des années 1950-1960. Actuellement, on ne peut s’empêcher de voir dans l’espace donné à Mari Katayama pour son exposition Home Again un écho féminin à l’exposition Tokyo installé au deuxième et troisième étage de la Mep. Ce « ménage à trois » japonais ouvre également une réflexion photographique sur les espaces de la ville.

L’exposition a été conçue par les artistes Daido Moriyama et Shomei Tomatsu avant le décès de ce dernier en 2012. Elle rassemble plus de 400 œuvres dont la plupart font l’objet de leur premier accrochage à Paris. C’est à travers une scénographie sobre, portée par des murs aux couleurs pastelles, claires et légères que la Mep propose de traverser les étapes de création les plus emblématiques de ces deux artistes.

 

Tokyo habité

Chez Moriyama et Tomatsu une attirance physique pour Tokyo et une réflexion sur les mœurs et la contre-culture japonaise. Le « Oh ! Shinjuku » de Shomei Tomatsu – quartier japonais qui compte une des plus grandes gares au monde – fait écho à Plateform de Daido Moriyama où il présente des clichés de la cité-dortoir en périphérie de Tokyo. Ce sont à la fois des foules entassées sur un quai de gare et des figures isolées en mouvement. Les deux artistes japonais se retrouvent sur différentes thématiques mais la connexion la plus forte tient à leur regard sur la ville.
Tomatsu ouvre son exposition sur une véritable empathie pour le peuple japonais des années 1950. Sa photographie est douce, embrasse des sourires et des vagabonds célestes. L’admiration est forte pour un peuple au sortir de la guerre qui ne paraît connaître aucune forme d’américanisation. C’est un premier accrochage où les figures sont en harmonie avec les plans de la ville. Au sein de l’espace du deuxième étage de la Mep, sa série Chewing Gum and Chocolat montre au contraire un Japon cocalisé où se confrontent les cultures américaine et japonaise.

 

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Shomei Tomatsu, « Protest », 1969, Tirage jet d’encre, 59 x 42 cm © Shomei Tomatsu Interface

Redécouvrir la photographie documentaire japonaise

Daido Moriyama, et son mentor, Shomei Tomatsu partage un attrait pour un Japon au lendemain de la guerre, marqué au fer rouge par les explosions atomiques et par des changements brusques après l’arrivée des soldats américains dans les bases militaires du Japon. Pour Tomatsu, c’est l’occasion de présenter une photographie documentaire brute. La peau de la ville montre ainsi un tissu urbain vide, presque abstrait. Des cadrages inattendus montrent des fragments de réalités qu’on ne discerne pas tout de suite. Sa série Protest est la plus humanisée et habitée. Elle photographie les affrontements entre les étudiants révoltés et la police anti-émeute dans les rues de Shinjuku. A l’image du Paris de 1968, la série est prise dans un mouvement contestataire contre la guerre du Vietnam, contre l’américanisation du pays et contre le traité de sécurité nippo-américain qui instaure de nouvelles relations militaires et sécuritaires entre les deux pays. On s’attend à des clichés proches de « La Marianne de Mai 68 ». Pourtant, les noirs sont moins bruts, les gris plus doux et les héros de la résistances floutés. C’est une sorte de « jungle  moderne » où les plans rejettent l’harmonie. 

La Mep et les artistes ont choisi pour cette étape de création une place centrale. L’espace est restreint  et propose une transition entre les clichés d’un Japon habité et la série Au cœur de la cité où se devinent des désastres écologiques dans une urbanisation pressée par la modernité.


La Mep nous parle de la ville

La programmation japonaise choisie par la Mep pour sa réouverture sera prolongée par l’exposition « Les reflets de la ville » à la Petite Galerie tournée vers le jeune public. Elle présentera une réflexion sur la création photographique. Exposer la banalité de la ville pour comprendre comment la photographie peut la documenter : c’est encore un point commun entre les représentations de Shinjuku, quartier populaire de la capitale japonaise chez Moriyama et Tomatsu. Cette initiation à la photographie et aux prises de vue entre l’architecture et les sujets de la ville pourra servir à tous et  toutes. C’est avec des artistes tels que Lee Friedlander ou Brassaï que sont pensés les détails du décor urbain qui deviennent visibles grâce à la photographie. C’est ce que Tomatsu définit en comparant le point de vue de l’artiste au « regard de chien errant » qui permet à ces petits fragments de nous être familiers.

Enfin, la Mep propose des cartels qui lient le travail photographique des deux artistes japonais à leur engagement politique et à leurs écrits. De quoi donner des repères pour les amateurs de la photographie qui ont parfois peur des accrochages expérimentaux. Les œuvres en noir et blanc (en contraste avec la dernière section Pretty Woman, 2016 en couleur) sont encadrées par certains textes de Daido Moriyama et Shomei Tomatsu. Avant de voir le Shinjuku des deux artistes, on peut  lire qu’il est  « un quartier de jeunes / un quartier où l’on fait une halte en rentrant chez soi / un haut lieu de l’underground / un endroit où il se passe toujours quelque chose ».


Ainhoa Gomez



Pour aller plus loin :

Lien vers le site de la MEP : https://www.mep-fr.org/event/daido-moriyama-shomei-tomatsu/


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