La Ville de La Courneuve, située en Seine-Saint-Denis dans la très proche banlieue de l’agglomération parisienne, a engagé depuis 2019 un chantier des collections conséquent. Détentrice d’une collection agricole de plusieurs milliers d’objets issue d’un écomusée fermé depuis les années 1990, elle explore des utilisations patrimoniales non muséales pour ces dernières.

Image d’introduction : Vue de la ville de La Courneuve dans les années 1960 © Ville de La Courneuve

Raconter l’histoire du territoire

A l’aube des années 1980, la Ville de La Courneuve engage un processus de reconnaissance et de sauvegarde du patrimoine local. La constitution de ce dernier est l’occasion, pour la municipalité, de proposer une offre culturelle aux habitants mais également de mettre au point un récit de l’histoire locale dépassant les difficultés frappant le territoire, entre désindustrialisation et dégradation des immeubles de la Cité des 4 000 Logements bâtie au début des années 1960.

Ce processus se développe autour de trois thématiques : l’archéologie, le patrimoine bâti et le patrimoine rural, ce dernier témoignant des activités agricoles qui ont fait la gloire du territoire.Au milieu du XIXe siècle, La Courneuve fait, en effet, partie des trois centres principaux pourvoyant la ville de Paris en cultures maraîchères. Situé en plein cœur de la Plaine des Vertus, l’activité agricole se poursuit jusque dans les années 1960 avant de céder la place à l’urbanisation.

C’est ainsi qu’en 1981 une exposition sur l’histoire rurale du territoire est organisée à l’Hôtel de Ville afin de commémorer cet héritage. A la suite de cet évènement, des agriculteurs apportent à la direction des affaires culturelles de la Ville des objets en rapport avec leurs activités professionnelles, ce qui pousse les équipes à engranger la constitution d’une véritable collection ethnographique. En 1983, un « musée des cultures légumières » voit le jour au 11, rue de l’Abreuvoir, une ancienne maison maraichère. Ce musée se transforme progressivement en écomusée où contempler les espaces intérieurs et extérieurs d’une maison de cultivateurs avec ses mobiliers, ses outils, mais aussi des tombereaux et tarares. Cette installation, complétée par le jardin cultivé, crée un îlot de ruralité au cœur de la Ville.

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Cour intérieure du musée des cultures légumières au début des années 1990 © Ville de La Courneuve

 

C’est l’Association Banlieue Nord, mise en place sous l’égide du Maire en 1983, qui est chargée de la gestion du musée et la valorisation de ce patrimoine courneuvien particulier. Ses membres sont notamment chargés de développer des recherches ethnologiques sur ce sujet, ce qui se traduit par un important travail de collecte de témoignages, d’archives et d’éléments patrimoniaux relatifs à l’histoire agricole courneuvienne et, plus largement, régionale, dans une approche comparative et pluridisciplinaire. Le musée rencontre, en 1992 et 1995, un certain succès, notamment auprès des publics scolaires. La mise en place du « Marché au musée », qui se tient deux fois par an sur le site, permet la découverte du musée par un public plus large.

Une impasse muséale

Le musée ferme en 1995, officiellement pour des raisons de sécurité dues au bâtiment. L’arrêt des activités muséales entraîne paradoxalement un accroissement des collections qui sont mises en réserve dans une friche industrielle, dans des conditions de conservation discutables et qui comprennent au début des années 2000 entre 6 000 et 8 000 objets. Dix ans plus tard, une nouvelle estimation indique 25 à 45 000 items. Ce volume finit par constituer une impasse, tout projet de conservation et de valorisation se trouvant contraint par cet excès d’objets.

En 2002, un audit commandé à l’entreprise Option Culture préconise la (re)création d’un structure muséale, portée par d’autres collectivités et dédiée au patrimoine rural régional. Pourtant, le Département et la Région s’opposent à ce projet, et la Ville se voit contrainte de rassembler seule les moyens humains et financiers pour concevoir un projet patrimonial cohérent, mais l’absence de lieu d’exposition limite le champ des possibles. Dès lors, il est décidé que la monstration des collections se fera hors-les-murs, et que la politique de valorisation des collections se fera par des prêts et dépôts auprès de partenaires issus ou non du champ patrimonial, à l’occasion d’expositions réalisées avec l’exposition Savez-vous planter les choux, réalisée au Parc de Bagatelle avec la Ville de Paris en 2012.

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Vue de l’exposition Savez-vous planter les choux ? tenue au Parc de Bagatelles en 2012 © Ville de La Courneuve

 

La nécessité de libérer l’espace accueillant les collections pousse la municipalité à entériner un déménagement des collections en direction du sous-sol du Centre Culturel de la Ville. Le site présente en effet des conditions de conservation préventive satisfaisantes (température et hygrométrie stables) mais ne permet pas d’accueillir l’intégralité des collections. En 2018, la mise en place d’un chantier de déménagement est actée par la Ville, articulée à un chantier de tri. Une méthodologie est définie avec Fleur Foucher, conservatrice-restauratrice spécialisée en conservation préventive. Les éléments dont la conservation devient impossible en raison de leur état général (infestation par des insectes xylophages, corrosion, présence de champignons, etc.) sont éliminés. Cette approche sanitaire est complétée par une réduction du volume des ensembles récurrents (cagettes, sacs en toile de jute, vannerie etc.). Ce tri interroge la valeur patrimoniale de chaque objet, sa singularité, son lien avec le territoire ou son articulation avec un ensemble d’objets, un donateur-témoin, etc.

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Chantier des collections en 2019, au sein de l’ancienne halle industrielle © Ville de La Courneuve 

 

Finalement, le chantier mobilise pendant quatre mois une équipe de six spécialistes en conservation-restauration et six techniciens d’art ainsi que le chargé de projet de la Ville. Il aboutit à un inventaire de 2079 lignes d’inventaire pour un ensemble de 3575 items allant du véhicule hippomobile ou motorisé aux cloches à salades. Une restitution est réalisée en février 2020 lors du colloque annuel de l’APrévU (Association des Préventeurs Universitaires) au Mobilier National.

De nouvelles réserves pour un nouveau projet patrimonial

Mais ce chantier des collections est aussi et surtout le moyen d’envisager, au sein de la Ville, une refonte du projet patrimonial et culturel à partir d’une collection resserrée et dont la conservation est dorénavant soutenable. Le Conseil municipal valide ainsi le principe d’une « banque d’objets patrimoniaux » dans les sous-sols du Centre Culturel Jean Houdremont, prêtables à l’occasion de projets patrimoniaux mais aussi de projets de médiation au sens large. Un partenariat est notamment noué avec la Ferme ouverte de Saint-Denis, voisine du territoire et gérée par les Fermes de Gally dans le cadre d’un partenariat avec la Ville de Saint-Denis. Cette structure vise à faire découvrir l’agriculture d’hier, aujourd’hui et demain aux publics, et dispose d’un espace muséographique intérieur et extérieur dans lequel les collections courneuviennes sont désormais visibles par les publics de façon permanente.

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Vue d’une des salles de la Ferme de Gally, où sont exposées les collections courneuviennes © Lucile Garcia Lopez

 

La préparation du chantier d’implantation des réserves dans les sous-sols du Centre culturel est en cours. Il s’agit désormais d’installer en 2022 et 2023 du mobilier de rangement permettant de déconditionner les collections, actuellement stockées dans des caisses en plastique et sur palettes. A partir de la fin 2022, ces réserves permettraient un travail de valorisation auprès des acteurs concernés par ces thématiques. L’intérêt de plusieurs institutions patrimoniales nationales (Institut national du patrimoine, Centre national des arts et métiers, MuCEM) et la conduite de certains projets en lien avec les collections, sont autant d’éléments témoignant de l’attachement à ces collections, susceptibles d’être mobilisées dans différents projets.Enfin ce chantier s'inscrit dans une logique plus globale incluant également les maisons maraîchères du 9 et du 11, rue de l’Abreuvoir, dont les espaces cultivables pourraient être mis à la disposition du public dans le cadre de médiations dédiées au patrimoine agricole.

Ainsi, sur ce territoire où les espaces agricoles ont disparu, les collections de La Courneuve pourraient constituer un vecteur de la transmission d’une histoire locale aux nouvelles populations courneuviennes, originaires du monde entier. A l’aune de problématiques écologiques et urbaines toujours plus pressantes, le patrimoine rural se ferait ainsi tisseur de lien social, en capacité de mobiliser les habitants du territoire dans une démarche collective autour des questionnements sur nos modèles alimentaires et économiques contemporains.

 

Lucile Garcia Lopez

 

Pour aller plus loin :

Site de la Ville de La Courneuve

- Mikaël Petitjean, « Quel projet pour quels objets ? », e-Phaïstos, IX-2 | 2021

 

#Patrimoine #Collections #Ethnologie