Dans le cadre de deux expositions en 2021/2022 – respectivement Échelle et volume, la maquette d’aujourd’hui (Musée du Compagnonnage à Romanèche-Thorins (71), du 15 octobre 2021 au 31 mai 2022), et à l’occasion du festival de littérature jeunesse Des histoires pour l’histoire, une exposition sur « Les drôles de machines de Léonard de Vinci » (du 1er au 27 octobre 2021 au Temps des Cerises à Issy-les-Moulineaux (92)) – la maquette est à l’honneur. Si l’une présente le métier de maquettiste, aujourd’hui considéré comme artisanat d’art, l’autre évoque les différentes casquettes de Léonard de Vinci, et notamment celles de l’ingénieur et du concepteur de machines. À la fois objet de médiation mais également thème d’exposition, la maquette a une place de choix dans les musées et autres institutions muséales. 

L’origine de la maquette

À l’origine, ce n’était pourtant pas tout à fait son dessein premier. Née durant l’Antiquité, notamment au travers de jouets sumériens, une maquette comme l’indique la définition du CNRTL, est un « Modèle réduit à trois dimensions, respectant les détails et les proportions d’un décor de théâtre, d’une construction en projet (le décor, la construction devant être réalisée suivant ces données) ». Il s’agit donc le plus souvent d’une reproduction d’un bâtiment en devenir, ou déjà existant. La maquette a donc, au départ, un aspect scientifique et technique, puisqu’elle sert à vérifier si une construction est solide, ou bien à mettre en lumière un projet autour d’une future construction. Elle sert aussi à démontrer un propos, à obtenir un nouveau point de vue sur un bâtiment ou un objet qui n’est observable que grâce à la réduction.

Avec la réalisation de figurines et de dioramas – d’autres formes d’objet entrant également dans le champ du modélisme et de la maquette – il semble approprié de reconnaître un aspect pédagogique à cette dernière. Celle-ci peut effectivement servir à enseigner ou illustrer un fait, un événement - notamment historique – à montrer l’évolution topographique d’un lieu, la situation géographique d’une ville à une date donnée ou bien encore donner vie à des batailles célèbres. Le diorama de la Bataille de Waterloo créé par Charles Laurent et exposé au Musée de la Figurine historique à Compiègne en est un parfait exemple. Le Musée des Plans-reliefs situé à l’Hôtel des Invalides à Paris ou la collection du Palais des beaux-arts de Lille constitue également un socle solide de représentations de plans militaires et techniques sur des villes ou des zones données.

Ainsi, le rôle de la maquette est – de prime abord – militaire, technique, industriel, scientifique et pédagogique. Elle a toujours fasciné, en témoigne l’existence de France Miniature à Elancourt, Italia in miniatura à Rimini ou bien encore Bekonscot à Beaconsfield au Royaume-Uni, des parcs à thèmes autour des monuments historiques mondiaux miniaturisés. Mais comme son descriptif l’indique, il n’est question ici que de parcs à thème, centré uniquement sur le divertissement et le spectaculaire. Mais il aide à voir l’intérêt vif porté à cet objet, et l’attrait qu’il peut représenter s’il est utilisé au sein d’un musée. 

Comme indiqué précédemment, c’est un support pédagogique idéal pour représenter, expliquer, étudier ou promouvoir. La maquette permet de faire revivre ce qui n’existe plus (un château détruit), de rendre visible ce qui n’existe pas encore (un projet urbain) ou encore de donner à découvrir des éléments minuscules. Il semble dès lors convenir d’utiliser cet aspect pédagogique dans des lieux culturels. Ce passage sur la miniature dans l’ouvrage La miniature, dispositif artistique et modèle épistémologique dirigé par Evelyne Thoizel et Isabelle Roussel-Gillet tend à corroborer cette idée: «Le modèle réduit permet ainsi d’accéder à une autre forme d'intelligibilité en modifiant l’échelle de la représentation. Dans bien des musées d’archéologie ou d’histoire de la ville, une maquette, modèle réduit d’un bâtiment, est le passage obligé de la visite guidée. Elle offre un potentiel de rassemblement pour les médiations, afin que les visiteurs puissent se grouper autour d’elle et la voir ensemble. Le guide l’utilise pour leur donner des repères, des connaissances historiques sur l’architecture et les évolutions d’un bâtiment. La maquette comme dispositif interactif est alors au service de la compréhension scientifique » (Introduction). 

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 Maquettes de l’exposition Les drôles de machines de Léonard de Vinci. Crédits: PT
  Fac-similé de boucle de ceinture par Michel Campana. Crédits: PT

 

L’imaginaire au service du discours scientifique

Si la maquette a une fonction plutôt technique au départ, elle trouve également sa place dans les musées et autres institutions muséales. L’article de Daniel Jacobi intitulé «La maquette entre reconstitution savante et récit imaginaire dans les expositions archéologiques», qui est sous le prisme de l’exposition archéologique plus particulièrement, explique pourquoi un objet censé servir un but professionnel ou militaire est capable de servir une exposition, et pourquoi il y parvient aussi aisément. Si la maquette s’insère facilement dans un espace muséal, c’est qu’elle fait la part belle à l’imaginaire au sein d’un espace scientifique et historique. Support de médiation, elle permet d’expliciter un propos, de le démontrer tout en conservant un aspect ludique. La maquette ramène le visiteur à l’enfance, au jeu, à une part peut-être de spectaculaire, divertissant mais pour servir un propos scientifique. Cette recrudescence de l’usage de maquettes dans l’institution muséale provient, selon Daniel Jacobi, de l’arrivée de l’exposition temporaire lors de la refonte des musées durant les années 1980. Elle serait la première instigatrice de l’imaginaire au sein d’un discours muséographique. Dans son article, l’auteur explicite cette dimension scientifique de l’objet : « En tant qu’artefact muséographique, la maquette est sans aucun doute un dispositif pertinent pour donner à voir l’une des facettes majeures du discours scientifique archéologique : la reconstitution des édifices détruits et du mode de vie d’une civilisation disparue. Il permet, non seulement, de tester la validité d’une hypothèse scientifique […] mais aussi de la matérialiser concrètement ».
Il explique ensuite pourquoi il peut s’agir d’un dispositif muséographique attrayant et performant : « La maquette est une forme populaire. Plus encore, elle provoque une réaction presque jubilatoire en ce qu’elle évoque l’univers du jeu. Séduisante et attractive, elle suggère une posture de reconnaissance ludique et active. On l’observe, la commente, l’interprète comme une sorte d’énigme dans laquelle la solution est cachée. Et comme toute situation de jeu, la maquette incite à s’impliquer. Elle est en cela susceptible de devenir un support fantasmatique puisqu’elle est généralement associée, chez le visiteur adulte, aux souvenirs de l’enfance et à l’expérience d’une certaine liberté interprétative.». Dès lors, la faculté d’une maquette à communiquer et promouvoir, par exemple, un projet architectural en devenir se retrouve aussi dans une exposition muséale, où elle dévoile sous un nouveau jour ou tel qu’il a pu être un bâtiment ou une ville qui ne sont plus. Déchiffrable assez spontanément, elle est, pour reprendre les termes de Bourdieu, un art moyen. Il suffit de l’observer comme une saynète, d’en faire quasiment l’expérience empirique pour en comprendre, au moins une partie, l’interprétation scientifique dont on l’a imprégnée. Elle narre quelque chose visuellement. Elle donne également à voir l’objet original – sous sa forme réduite – comme un bâtiment sous un autre format, et on peut observer dès lors son organisation structurelle.
Elle se révèle ainsi comme un puissant dispositif cognitif : mettant en évidence ce qui est invisible, les détails qui semblent importants au maquettiste, les maquettes parviennent à illustrer de manière concrète le travail scientifique de l’exposition pour laquelle elle est utilisée. Par sa représentation de scènes, de monuments, de villes disparues ou appartenant au passé, la maquette matérialise et rend concret une hypothèse, un questionnement scientifique. L’exposition qui, pour Daniel Jacobi, est un nouveau média, permet aux chercheurs comme aux novices de s’approprier la maquette, s’approprier ce qu’elle retransmet. Ils se retrouvent conjointement autour du modèle réduit, qui est un plaisir partagé, un plaisir de l’enfance, plaisir qui se retrouve par ailleurs dans l’art de concevoir des modèles réduits – la confection de ces objets est devenu un loisir, un passe-temps pour nombre de personnes.  Les maquettes ne sont après tout, selon l’auteur, « […] que de fragiles et éphémères constructions archéologiques imaginaires ».

 

La maquette, cœur d’expôt(sition), ou la maquette aujourd’hui

La maquette rentre donc aisément dans le champ muséal pour sa facilité à être comprise rapidement et à être un support de médiation. Tout d’abord, il convient de distinguer trois sortes de maquettes grâce aux éléments glanés précédemment. Il y a d’abord la maquette d’architecture, celle évoquée en première partie, qui est une œuvre d’art – et qui est exposée en tant que telle – et met à distance le visiteur, qui se contente de l’observer sans pouvoir la toucher. Ensuite, il existe la maquette conçue expressément pour la médiation comme la maquette de port fictif au musée portuaire de Dunkerque, qui permet aux visiteurs de découvrir comment fonctionne un port et son aménagement si particulier puis d’imaginer et construire à leur tour un port fictif et idéal. La Cité internationale de la dentelle et de la mode à Calais présente également une maquette du lieu qui montre la Cité telle qu’elle était auparavant et son évolution jusqu’à son apparence actuelle grâce à des éléments amovibles. Ce style de maquette s’explicite grâce à un médiateur qui en fait l’usage, la rend ludique tout en apprenant à son interlocuteur des données scientifiques, souvent à destination du jeune public. Enfin, il y a la maquette à actionner seule sans médiateur, et qui trouve sa place également dans le musée. Elle est alors considérée comme une manipe.

Dès lors, il apparaît évident que c’est un support modelable, malléable et qui rentre parfaitement dans le cadre muséal. Deux études de cas peuvent étayer ce propos : l’exposition « Les drôles de machines de Léonard de Vinci », qui fut exposée à la médiathèque Micro-Folie Le Temps des Cerises d’Issy-les-Moulineaux, et les maquettes du Musée portuaire de Dunkerque, où le nombre de modèles réduits conséquent, donnent à voir des méthodes de médiation variées.

L’exposition « Les drôles de machines de Léonard de Vinci » comprend trois axes de contenu. Tout d’abord, une présentation des « Machines de Léonard », conçue par les Ingénieurs et Scientifiques de France (IESF-CVL), avec le concours de la Région Centre –Val de Loire grâce à des kakemonos. Puis, l’espace central d’exposition, situé sous une verrière, avec une série de maquettes et de fac-similés d’objets de travail et d’instruments qu’utilisait ou concevait l’artiste ingénieur toscan. Ces maquettes sont réalisées en bois par Claude Picoux, un ancien ingénieur devenu maquettiste à la retraite, ainsi que les instruments et mécanismes reconstitués de Michel Campana, réalisés en métal le plus souvent. Tous deux passionnés par Léonard de Vinci, leurs travaux respectifs sont mis au centre de l’exposition, où la muséographie présente et visualise réellement, et du mieux possible, les machines reproduites ou dessinées par l’artiste italien. Fondées sur les carnets de croquis de ce dernier, elles rendent vivantes les constructions de Léonard de Vinci. Lors des visites, les maquettes étaient utilisées (certaines sont amovibles et leurs mécanismes pouvaient réellement fonctionner) pour le plus grand plaisir des spectateurs de tous âges tout en expliquant comment elles ont été fabriquées et quelles machines elles représentaient. Ainsi, elles sont à la fois supports créés pour la médiation, objets pour illustrer une machine ayant ou n’ayant pas existé et expôt, puisqu’elles trônent au centre de la structure culturelle, et en deviennent dès lors des objets de collection.

L’autre étude de cas concerne le musée portuaire de Dunkerque, à la panoplie de maquettes de bateaux. Elles sont expôts, objets de collection au cœur de l’exposition mais aussi objets de médiation. Elles représentent des tranches de vie (il y a également des dioramas de moments de vie dans le port) avec des petits personnages dessus mais sont également des répliques de bateaux ayant navigué. Ces modèles réduits reproduisent fidèlement l’objet de départ – ou le faisant croire – et émerveillent le visiteur par son aspect ludique. 

Toutefois, si ces maquettes rendent l’exposition ludique et bénéficient d’une médiation – en particulier celles de l’exposition sur les machines de Léonard de Vinci – elles restent tout de même des objets exposés sans réelle médiation pour les maquettes de Dunkerque. Par ailleurs, le trop plein de maquettes finit par desservir le propos ou surcharger le parcours visuel pour le visiteur.

Dès lors, s’il est vrai que la maquette peut offrir une médiation, son aspect ludique peut tout autant être moteur et frein à la compréhension. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’elle constitue la figure centrale d’une exposition. Le propos qu’elle sert ne peut être compris sous toutes ses coutures qu’à travers une explicitation de son fonctionnement. Mais étant souvent considéré comme un objet d’art, cet accès ne lui est, dans la majorité des cas, pas permis. Pour exploiter son potentiel à son maximum, la maquette doit peut-être se réinventer, et pousser ses capacités à être saisi à bras le corps par le visiteur en tant que manipe à son paroxysme. Elle ne serait plus seulement objet de médiation, ou objet de collection exposable mais partie intégrante de l’expérience de visite, sous toutes ses formes.

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Maquette d’un navire au musée portuaire de Dunkerque. Crédits: PT

 

  Pauline Tiadina

  

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