Né dans les rues de Philadelphie dans les années 1960, de mouvement marginal à phénomène mondial, le street art façonne désormais nos villes. Cet art de plus en plus reconnu trouve aujourd’hui sa place, porté par une multitude d’actions culturelles visant à le valoriser sous toutes ses formes.

Street Art Fest Grenoble-Alpes, crédits : Andrea Berlese 

 

Vers une valorisation des toiles urbaines ?

C’est dans les années 1960, aux États-Unis et plus particulièrement à Philadelphie, que le street art, d’abord appelé graffiti writing, est apparu sous l’égide de deux artistes, Cornbread et Cool Earl. En France, il est porté par Ernest Pignon-Ernest dans les années 1970 et n’explosera qu’à partir des années 1980. Depuis ses origines modestes sur les murs des quartiers marginaux, le street art a évolué pour devenir un mouvement artistique d’envergure mondiale. Se distinguant par sa nature éphémère, il transforme les espaces urbains en expressions artistiques, allant de fresques murales monumentales aux petites interventions cachées, graffitis et pochoirs. Maintenant démocratisé par des artistes phares, il reste néanmoins un art qui ne fait pas l’unanimité. Mais une profusion d’actions culturelles initiées par divers acteurs tels que des artistes, amateurs, associations, institutions culturelles, collectivités sont autant d’actes de reconnaissance. Ces initiatives visent à sensibiliser et à valoriser le street art sous de multiples formes.

 

Participation et inclusion

Au-delà de son aspect contemplatif, esthétique ou engagé, le street art est aussi une œuvre sociale, élaborée dans les échanges et rencontres. Les festivals et événements autour du street art se multiplient, offrant une possibilité aux artistes de créer et d’interagir directement avec le public. Des festivals de street art aux ateliers artistiques en plein air renforcent les liens sociaux et favorisent l’échange. Cette année le Street Art Fest Grenoble-Alpes, festival sensibilisant aux formes d’expression artistique urbaine telles que le graffiti, les fresques murales, les installations, et les performances en direct, lance sa 10ème édition. Transcendant le cadre d’un évènement artistique, il est porteur d’actions culturelles autour du street art dans près de dix villes partenaires favorisant la participation active des habitants. Les ateliers artistiques, les visites guidées et les conférences organisés dans le cadre du festival visent à sensibiliser le public au street art. Des projets collaboratifs et participatifs encouragent les habitants à s’approprier l’espace public et à contribuer à la création d’œuvres collectives. Ces activités permettent de mieux comprendre les techniques, les styles et les enjeux sociaux et culturels du mouvement, contribuant ainsi à changer les regards sur cet art souvent mal compris.

 

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Street Art Fest Grenoble-Alpes, crédits : Andrea Berlese

 

Un outil de sensibilisation, dialogue et contestation

Le street art est également devenu un outil important de sensibilisation sociale et environnementale. De nombreux artistes abordent des questions cruciales telles que les droits de l’homme, la justice sociale, ou encore la préservation de l’environnement. L’artiste et vidéaste italien Blu est connu pour ses multiples graffitis disséminés à travers le monde, notamment à Barcelone, New York, Varsovie, Londres et Rennes. Ses fresques abordent des sujets politiquement chargés, complexes et aux enjeux internationaux. Ici, une gigantesque bouche, dont les dents évoquent des immeubles, semble prête à dévorer un arbre aux feuilles verdoyantes. Cette représentation saisissante évoque le fléau de la déforestation.

 

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Peinture murale sur la déforestation réalisée par l’artiste Blu, en Serbie, crédits : La boite verte

 

Les artistes choisissent soigneusement leurs emplacements, tenant compte de l’architecture, de l’histoire locale et des dynamiques sociales. C’est le parti-pris que prend l’artiste JR en réalisant un projet artistique 28 Millimètres : Les Bosquets en 2004. Situé dans la banlieue parisienne, plus précisément à Montfermeil, Les Bosquets est un quartier marqué par les difficultés sociales et économiques. En 2006, en réaction à la stigmatisation médiatique de la jeunesse populaire, JR choisit de photographier les habitants des Bosquets, en leur demandant de se caricaturer et de se montrer sous un jour menaçant. Ce projet confronte les passants à des portraits caricaturaux des jeunes déployés vers divers quartiers de Paris, les invitant à réfléchir sur la représentation de la jeunesse des quartiers populaires. Né d'une volonté de donner une voix, JR engage ces habitants souvent marginalisés et stigmatisés dans un processus de création artistique qui démontre le potentiel du street art comme outil de collaboration et de dénonciation.

 

Une reconnaissance institutionnelle croissante

Face à l’engouement croissant pour le street art, de nombreuses institutions culturelles comme le Musée en Herbe avec l’exposition du graffeur Seth et le Grand Palais immersif présentant Loading. L’art urbain à l’ère numérique, reconnaissent désormais sa valeur artistique et sociale. Ce mouvement de reconnaissance témoigne de l’évolution de la perception de cette forme artistique autrefois marginalisée. En décembre 2023, le musée de l’Hospice Comtesse à Lille dédiait son exposition temporaire à l’artiste Jef Aérosol, un des pionniers du mouvement en France. Ses œuvres emblématiques furent exposées dans les salles historiques de cet ancien hospice, offrant ainsi un mélange surprenant entre l'art contemporain et le patrimoine historique. Cette exposition a attiré un large public, allant des passionnés d’art urbain aux visiteurs curieux. En présentant le travail de Jef Aérosol dans un cadre muséal, et en laissant les visiteurs investir une des cimaises de l’exposition, l’Hospice Comtesse contribue à son tour à la valorisation du street art en tant qu’expression artistique légitime. D’autres musées entièrement dédiés au street art émergent, comme le Art 42 à Paris ouvert en 2016 ou encore le Musée vivant d’Art Urbain et de Street Art à Neuf Brisach ouvert en 2018. En intégrant le street art en leur sein, les musées sensibilisent les publics plus sceptiques tout en valorisant ce mouvement soulevant généralement des questions sociales et politiques. Parallèlement, les villes collaborent de plus en plus avec les artistes pour intégrer le street art dans les projets de réhabilitation urbaine et de revitalisation des quartiers. C’est le cas de la ville de Charleville Mézières qui, en 2015, fait un appel à projet pour la création d’un parcours « art urbain » autour des poèmes d’Arthur Rimbaud. En réinvestissant les espaces vides, négligés ou abandonnés, le street art redonne vie à des murs amochés, invite les passants à redécouvrir leur ville et crée au fil des années un parcours de visite urbain, en lien avec Rimbaud, dans sa ville natale.

 

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Vue aérienne de l’exposition Jeff Aérosol, Hospice Comtesse, Lille, crédits LS
Cimaise de l’exposition Jeff Aérosol,  Hospice Comtesse, Lille, crédits LS

 

Des actions engagées

Les actions culturelles, événements et festivals autour du street art sont bien plus que de simples occasions de divertissement ou de contemplation artistique. Ils représentent des opérations dynamiques qui valorisent les différentes formes du street art. En favorisant la reconnaissance des artistes, ces initiatives enrichissent le paysage artistique contemporain et encouragent la diversité culturelle. De plus, en permettant aux artistes de créer directement avec le public, ces événements favorisent un échange culturel riche et stimulant, renforçant ainsi les liens sociaux et communautaires. Par leur capacité à sensibiliser aux enjeux sociaux, politiques et environnementaux, les actions culturelles deviennent également des outils de dialogue et de changement social. En encourageant l’inclusion, la créativité et l’expression individuelle, elles contribuent à façonner des sociétés plus ouvertes.

 

Léa Sauvage

 

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