Au-delà de sa dimension sacrée, le cimetière est également un lieu de mémoire, de culture mais aussi de vie. Plusieurs siècles se rencontrent, la vie face à la mort. Le cimetière est témoin des âmes passées et qui ne demanderaient qu’à être racontées.
Cimetière Saint-Roch, Grenoble © GM
Pourtant, le cimetière est un lieu de passage qui n’incite pas à la visite. Les années passant, certaines parties des cimetières tombent dans l’oubli et se dégradent. Ce n’est pas seulement les noms des personnes décédées qui s’effacent, c’est également la perte d’une histoire et d’un patrimoine.
A l’image du cimetière du Père Lachaise, les tombes des défunts ainsi que le lieu en lui-même sont des sources de connaissance mises en avant grâce à diverses actions culturelles : visites guidées, jeux de pistes voire pièces de théâtre.
Balade théâtrale au cimetière Saint-Roch de Grenoble
Une balade théâtrale, commandée par l’association Asroch - fondée en 2004 pour perpétuer le patrimoine et la mémoire du cimetière Saint-Roch de Grenoble - est conçue et présentée par la compagnie grenobloise l'Élan Théâtre. La visite “Les temps modernes, et au-delà…” dure 1h15 et invite les visiteurs à découvrir l’histoire industrielle de Grenoble dans le plus ancien cimetière de la ville. Dès le règlement de celle-ci, les acteurs donnent le ton et mettent à contribution le visiteur en lui faisant signer un contrat de travail.
Extrait de la pièce de théâtre de l'Élan Théâtre © GM
“ Entre MAD Tech ® et Madame, Monsieur
Il a été convenu et arrêté ce qui suit :
Article 1 : Engagement
Madame, Monsieur qui se déclare libre de tout engagement, est engagé au service de MAD Tech ® en qualité de (à définir), au coefficient hiérarchique 0. Vous êtes informé que le présent contrat est soumis aux dispositions de la convention collective de Benjamin Deauclair, responsable du projet Saint-Roch Sata center ”
Extrait du contrat de travail à durée indéterminée de court terme.
À l’heure de la technologie, des jeunes entrepreneurs souhaitent remplacer le cimetière par un data center. Au fil de la balade, les morts reprennent vie pour donner leurs avis sur ce projet et permettre aux visiteurs de connaître davantage l’histoire industrielle de Grenoble au XIXe siècle. Divers personnages, ouvriers et riches industriels, font ainsi entendre leur voix et plaident leurs causes. Il est possible de découvrir Valérien Perrin, fondateur de l’entreprise de ganterie et de lingerie Valisère ; Casimir Brenier, fondateur de l’entreprise d’équipements hydrauliques et mécaniques Neyrpic ou encore une ouvrière appelant à une grève générale. Le cimetière ainsi arpenté est finalement sauvé, permettant aux âmes qui l’habitent de reposer en paix et aux vivants d’avoir découvert des recoins parfois oubliés.
Extrait de la pièce de théâtre de l'Élan Théâtre © GM
Cette pièce de théâtre est le troisième récit proposé par la compagnie pour parcourir plus en détail le cimetière. Les deux premiers récits : “En attendant Stendhal” et “La marche de l’Empereur” donnent une autre vision de l’histoire de la ville. “Remonter le temps” dans les parties les plus anciennes du cimetière permet de sortir ces lieux de l'oubli, car peu de ces tombes sont entretenues ou décorées par des proches.
La nature reprenant ses droits, les allées offrent un espace de promenade pour les visiteurs et un décor pour écrire de nouvelles histoires. Le but de cette mise en valeur est d’interpeller le public sur la gestion individuelle et collective des tombes et l’histoire variée des différentes personnes inhumées.
Visite guidée de la construction du cimetière paysager de La Source, dans le Loiret
Et pourquoi ne pas être enterré entouré de nature ?
C’est au cours des Journées Européennes du Patrimoine que le cimetière paysager de La Source ouvrait ses portes pour une visite guidée co-construite avec l’association “Pour une alternative funéraire dans le Loiret”, son concepteur paysagiste Olivier Striblen et Gilles Julou, responsable des cimetières d’Orléans.
L’objectif de cette visite insolite était de communiquer sur les cimetières paysagers, lieux de plus en plus créés en France et dont l’envie est de répondre à plusieurs problèmes de société, comme le manque de place pour nos défunts et de verdure dans les villes. L’idée première était d’expliquer la construction des cimetières depuis les années 1950, et l’engazonnement de ces lieux, permettant la création de véritables îlots de fraîcheur.
Cimetière paysager de La Source © EK
Le but ne pouvait être d’évoquer des personnalités illustres dans ce cimetière récent.
Pour autant la visite aborde différentes étapes qui, pour un néophyte des manières de créer un cimetière, sont révélatrices de notre société. Ce cimetière libre d’accès appartient à la commune d’Orléans (une obligation) et accueille toutes religions qui le souhaitent en les séparant par des enclos de verdure.
La visite passe tout d’abord par les débuts de création de ce cimetière, les questionnements. Comment en faire un lieu paisible pour tous ? Peut-on être enterré selon nos engagements environnementaux ? Puisqu’être inhumé émet autant de CO2 que 80% d’un aller-retour Paris New-York, contre 23% pour la crémation. De manière générale, comment être le plus inclusif possible jusque dans la mort ? Quels sont les rites d’inhumation suivant les religions ?
L’objectif de sa création était clair : offrir la possibilité d’être inhumé comme on le souhaite suivant les règles du cimetière et la loi. Car oui, la loi napoléonienne prévoit de subtils articles, comme l’impossibilité d’être enterré sans cercueil, allant à l’encontre des rites islamiques. Plus récemment, en 2021, la possibilité est donnée aux parents de nommer leur enfant mort-né et ainsi de lui offrir une épigraphe.
Cimetière paysager de La Source © EK
Le second souhait était d’en faire un lieu de vie. De permettre aux visiteurs de pouvoir se promener dans des grandes allées fleuries, ou de se reposer sous les préaux. Son urbaniste rappelle que les cimetières étaient avant la guerre des lieux de vies : fêtes, commerce, prostitution, bétail, jeux d’enfants le dynamisaient. Puis ils sont devenus des « parkings » à corps. L’envie de créer des corridors biologiques avait pour ambition d’égayer la visite par la floraison et ses couleurs, mais aussi de favoriser une faune et flore avec des végétaux endémiques, une forêt initiale préservée par des îlots encerclés de défunts.
Cimetière paysager de La Source © EK
Une mode en devenir ?
Outre ces deux exemples d’offres de visite, la visite de cimetière s’étend au niveau national : à Boulogne-sur-Mer afin de sillonner les allées historiques des cimetières de la ville par la découverte de la symbolique de ses tombes ; à Marseille pour explorer le cimetière Saint-Pierre et ses tombes, des plus somptueuses aux plus modestes ; et à Brest au cimetière Saint-Martin pour parcourir ses allées.
Malgré une mauvaise communication sur ces événements, par peur de choquer ou par manque de moyen, d’autres idées de visites sont développées pour attirer des publics variés. Parmi tant d’autres : une visite nocturne aux chandelles du cimetière Monumental de Rouen ou encore l’intervention d’artistes contemporains sur des tombes abandonnées dans le cimetière du Sud de Tournai.
Le cimetière n’est pas automatiquement un lieu accessible à tous, de par sa disposition et son architecture. La région Auvergne Rhône-Alpes, soutenue par les ministères de la Culture et des Armées, a créé une plateforme avec les visites virtuelles de deux cimetières de Haute-Savoie et de Haute-Loire. Le site internet, assez ergonomique, permet une compréhension aisée du lieu via des photographies et explications, pour autant, il peine à trouver son public par un manque de communication.
Les cimetières, comme sites de mémoire ou paysager, sont des terrains de jeu pour toute personne souhaitant explorer sous un nouveau jour l’histoire de nos villes. Ces activités encouragent les collectivités, les associations et particuliers à redonner vie à ces lieux de repos éternel. En recherche du grand frisson ? Passez votre chemin ! Ces visites sont réfléchies et construites par des auteurs, historiens, guides qui deviennent de véritables chercheurs et spécialistes de ces sites. Elles sont créées par des professionnels ou bénévoles de la culture. De plus en plus prisées par un public local ou touristique, elles informent, autrement, de manière peu commune sur la vie passée de la ville. Elles permettent aux vivants de mieux s’approprier ce territoire tristement connu, et, pourquoi pas, de changer notre regard sur la mort.
Attention toutefois à ne pas créer une économie de la mort. Dans une ère où tout est capitalisable, les visites guidées de cimetières pourraient le devenir aussi, si ce n’est pas déjà fait ; des entreprises privées proposent des visites payantes du cimetière du Père Lachaise. Alors visiter oui, mais selon quelles conditions ?
Élise Klein
Gaëlle Magdelenne
Pour en savoir plus :
- Article d’Elise Franck, “Quand nos cimetières abritent le matrimoine” : https://formation-exposition-musee.fr/l-art-de-muser/2305-quand-nos-cimetieres-abritent-le-patrimoine
- Article de Manon Lévignat, “Peut-on jouer avec la mort ?” : https://formation-exposition-musee.fr/l-art-de-muser/2018-peut-on-jouer-avec-la-mort
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